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Aussi ces chants font-ils partie de l’éducation nationale et de la discipline militaire : l’écolier les épelle et les psalmodie en même temps que sa Bible et son alphabet. On y sent vibrer l’expression d’un patriotisme sacré.

Les chantres du nouvel empire germanique, que M. Cherbuliez présentait naguère aux lecteurs de la Revue[1], avec la connaissance et l’intuition des hommes et des choses de l’Allemagne que nul ne possède autant que lui, semblent peu dignes de figurer à côté de leurs illustres ancêtres. M. Scheffel, sur ce sujet, n’a pas été mieux inspiré. Chargé, lors de l’ouverture de l’université de Strasbourg, de composer une pièce de circonstance, il s’est vu déserter par la muse, de son aveu même, car il n’a pas jugé ces vers dignes de figurer dans toutes les éditions du Gaudeamus :


Aujourd’hui notre désir amoureux
N’est plus séparé par un Rhin allemand, par un Rhin gaulois.
Nous glissons, semblables aux cygnes de Lohengrin,
Joyeux comme une matinée de mai dans Strasbourg.


Le poète toutefois ne se fait pas illusion sur les sympathies des Alsaciens pour les oiseaux de proie métamorphosés en cygnes légendaires au doux et blanc plumage :


Pourquoi tourner vers l’Ouest tes regards pleins de tristesse,
Compatriote et frère d’Alsace ?


Un jeu de mots assez pauvre sur les deux syllabes de Strasbourg termine la chanson ; cette cité va devenir une route (Strasse) pour l’activité des jeunes, une citadelle (Burg) pour les sages.

La difficulté tenait sans doute au sujet, et Pindare lui-même eût été dans l’embarras si, au lieu de glorifier les vainqueurs des jeux Olympiques, il lui avait fallu célébrer l’habile gagnant d’un lot inespéré à la loterie des dés de fer.

Mais voici une autre pièce de M. Scheffel, bien antérieure à 1870 et fameuse entre toutes, la Bataille de Teutobourg, destinée à exalter, sous forme de parodie et de sinistre bouffonnerie, le sentiment national :


Lorsque les Romains crûrent en insolence, — Ils pénétrèrent dans le nord de l’Allemagne. — A leur tête, au bruit des fanfares, — Chevauchait le général feld-maréchal — Son Excellence Quintilius Varus. — Mais dans la forêt de Teutobourg, — Aïe ! que le vent froid sifflait, —

  1. Voyez la Revuedu 15 mars 1872.