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son angoisse, agenouillée devant la madone, elle lui adresse une prière qui, par la consonnance harmonieuse du premier vers, rappelle les stances de Goethe :


Ach neige, — Du Schtnerzen reiche — Dein Antlitz gnädig meiner Noth


Toutes ces scènes et tous ces traits se fondent dans une même teinte joviale : c’est la belle humeur du poète qui en fait le lien et l’unité.


II.

Dans le poème que nous venons d’exposer, M. Scheffel surveille encore et contient sa verve : c’est dans ses lieder ou chansons qu’il lui laisse tout son essor. Elles sont montées à un diapason de gaîté plus élevé, car elles s’adressent à la classe spéciale des étudians, qui salue en M. Scheffel son poète favori, qui acclame en lui le vétéran d’université, la tête moussue (bemoostes Haupt), le vieux camarade, le bursch accompli, en un mot l’antithèse absolue du philistin. Une certaine médiocrité de fortune, jointe au sérieux habituel de l’esprit, fait qu’en Allemagne, plus encore qu’en France, les années passées à l’université sont, par contraste, un temps de plaisir, d’indépendance et de folle humeur. Le souvenir de ces fraîches années reste toujours vif et présent, et le vieillard ne peut chanter sans émotion les refrains bachiques de sa jeunesse. Or quiconque s’est assis sur les bancs académiques sait par cœur les chansons de M. Scheffel, et chaque génération les apprend à la suivante. Avant d’être réunies en volume, elles ont circulé longtemps sans nom d’auteur, et comme le remarque M. Karl Bartsch, elles présentaient ainsi les vrais caractères de toute poésie populaire, la tradition orale et la composition anonyme afin de rendre intelligibles à un public français ces poésies privées de chant et, de plus, refroidies et éteintes par une traduction, il semble utile d’indiquer les circonstances où elles ont été composées et à quelles coutumes elles correspondent : sur ce sujet, mœurs et littérature se trouvent mêlées et confondues.

A son retour d’Italie, d’où il rapportait le manuscrit du Trompette de Säkkingen, M. Scheffel, alors dans sa vingt-septième année, se fixa pour quelque temps à Heidelberg. Il s’adonnait avec passion à des études sur le moyen âge et assemblait les notes d’un roman historique. Là il vivait dans une société de gais compagnons qui pourrait rappeler, à certains égards, notre Caveau français. L’historien doctrinaire, Louis Hausser, professeur en vogue, orateur