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autre que Marguerite, venue à Rome pour se distraire, sur le conseil des médecins, en compagnie de l’abbesse princière de Säkkingen. Dans la tribune des chanteurs de la Sixtine, elle venait de reconnaître son cher trompette d’autrefois.

L’évanouissement d’une si belle personne attira les yeux du saint-père. Mis au courant de l’aventure, édifié par les bonnes mœurs de son maître de chapelle, il leva le seul obstacle qui s’opposait à l’union des amans en créant Werner Kirchhof chevalier et marquis de Campo-Santo. Les deux fiancés, agenouillés aux pieds du saint-père, dans les jardins du Vatican, reçurent sa bénédiction. La vieille abbesse pleurait si fort « que le gazon, étonné, regardait le ciel pour voir s’il ne pleuvait pas. » Bientôt le fidèle cocher Antoine fit claquer joyeusement son fouet et ramena ses maîtres à petites journées sur les bords du Rhin, vers le manoir patrimonial. Et voici la morale de cette histoire :


L’amour et l’art de la trompette — Servent à de très bonnes choses. — L’amour et l’art de la trompette, — Conquièrent même une épouse de la noblesse. — L’amour et l’art de la trompette, — Puissent-ils réussir à chacun, — Comme au seigneur trompette Werner — Sur le Rhin à Säkkingen !


La fable est, on le voit, des plus simples. Ces courtes citations suffisent à donner le ton général du poème. Mais les épisodes qui s’y mêlent tiennent autant de place que le récit principal et montrent à quel point M. Scheffel est imprégné du souvenir des mœurs et des légendes des bords du Rhin : de là cette saveur particulière de son œuvre pour les lecteurs allemands. Le poète met sous leurs yeux une suite de tableaux variés, repas champêtres, pêche, intérieurs de cabarets, concert, scènes d’amour et de bataille, où la grâce du récit alterne avec le burlesque et où défilent les personnages les plus divers : un instituteur, un aubergiste allemand, des êtres fantastiques, nains et cobolds, un philosophe solitaire qui s’abîme en des méditations sur le phénomène et le noumène... Il y en a pour tous les goûts.

Une autre source encore de l’intérêt que le public de M. Scheffel trouve à cette lecture, c’est le nombre des parodies et réminiscences d’une foule de situations, de scènes et de mots célèbres chez les classiques allemands : l’Atta Troll d’Henri Heine a fourni le mètre du vers; le chat Murr, d’Hoffmann, baptisé du nom d’Hiddigeigei, joue dans le récit le rôle du chœur antique; la Marguerite du poème est une cousine germaine de la blonde Gretchen, comme l’amante de Faust, elle nous apparaît au sortir de J’église et, dans