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dévote, — Et une pâleur pleine de prétention. — Prenez-le tel qu’il est, avec les joues rouges, — Jeune et rustique fils de la montagne, — Une branche de sapin sur le simple chapeau de paille.


Le récit court sur un rythme bref et moqueur, avec cet accent d’impertinente bonhomie.

L’action se passe pendant les années qui suivirent la guerre de trente ans; le cadre, c’est d’abord la Forêt-Noire, le Rhin dans les environs de Säkkingen, le héros, un de ces étudians voyageurs, si nombreux durant le moyen âge, et dont la race ne s’est pas encore tout à fait perdue. — Un cavalier de bonne mine, jeune et blond, l’épée au côté, une trompette dorée en bandoulière sur un long manteau gris, chevauchait à travers la forêt. Assailli par une bourrasque de neige, il perd sa route; puis le vent s’apaise, la nuée se déchire, il aperçoit dans un magnifique horizon le Rhin, les Alpes helvétiques, il oublie toute inquiétude, attache son cheval à un arbre, fait sauter son chapeau en l’air, embouche sa trompette, et salue le fleuve par une joyeuse fanfare retentissante qui roule d’échos en échos le long de la vallée. Tandis qu’il sonnait sa fanfare, le digne curé d’un village voisin vint à passer et offrit au jeune étranger l’hospitalité de son presbytère. Tout bon luthérien qu’il soit, M. Scheffel fait ici l’éloge du curé de campagne, — une manière d’abbé Constantin. Les toiles d’araignée recouvraient ses livres de polémique, mais partout où il était besoin d’un secours, d’une consolation, il accourait, avec un message authentique de paix et de pardon, ne souhaitant pour lui d’autre récompense que la vénération des enfans et le dernier sourire des moribonds. Arrivés au presbytère, le curé régala son hôte d’une truite, d’un jambon frais et d’un poulet rôti, et dès que celui-ci eut apaisé sa faim gloutonne, il le fit asseoir sur le petit banc derrière le poêle, l’engageant à étendre les jambes, à se mettre tout à fait à l’aise, et le priant, par une citation d’Homère, — car l’abbé était bon humaniste, — de lui dire quelle personne il est, de quelle famille, d’où il vient, où il va.

Werner Kirchhof, c’est le nom du jeune homme, raconte qu’il étudiait le droit à Heidelberg, sa patrie, et cultivait de préférence l’art de la trompette, en même temps que la poésie, voire la métaphysique, en compagnie du bouffon du landgrave, le nain Perkeo, dans la grande cave du château, près du tonneau gigantesque. Un jour qu’il était sorti de cette conférence, l’esprit plus troublé que d’habitude par les fumées du vin, il aperçut accoudée à un balcon la belle comtesse palatine Léonore, et osa lui faire une déclaration d’amour dans un sonnet improvisé. L’impromptu ne fâcha point la comtesse; mais l’audacieux poète fut chassé de l’Université et dut