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peuple; d’avoir été ainsi la complice de tous les crimes de son infâme mari. Enfin elle paraît (sic) avoir entretenu des correspondances avec le traître La Luzerne, son gendre. » Calixte Montmorin était, dit-on, au château le 10 août : « La preuve en résulte d’une arme qu’on a trouvée chez lui et qui servit ce jour-là à poignarder plusieurs citoyens; c’est une arme à deux dards, dont il avait été fabriqué alors une si grande quantité, et qui en même temps qu’elle était instrument de l’assassinat médité contre le peuple était aussi un signe de ralliement parmi les conjurés. Quant à la femme La Luzerne, elle a entretenu la correspondance la plus active et la plus suivie avec son mari. Les lettres existent, et la femme La Luzerne convaincue de ce délit, a cherché à prévenir le jugement que la loi a porté contre elle. »

La malheureuse ne s’était pas empoisonnée ; mais, atteinte d’une fièvre chaude, elle avait été transportée dans un hôpital de la prison Saint-Lazare ; elle y mourait la veille de l’exécution. Les lettres de son mari, écrites en anglais, n’avaient pas même été traduites et néanmoins avaient paru suspectes.

Tout est odieux et déchirant dans cet horrible procès. Mais l’héroïsme reparaît chez la mère et chez le fils. De même que le père avait été sardonique et hautain avec Maillard, la mère est sublime dans un mensonge devant le tribunal révolutionnaire; elle avait entendu avec bonheur prononcer son arrêt de mort. Dans ce moment terrible, elle trouva l’occasion d’acquitter envers Mme de Sérilly la dette de la reconnaissance. Mme de Sérilly s’était évanouie au prononcé de sa condamnation. Mme de Montmorin, voyant sa cousine tomber sans connaissance, dit au tribunal : « Messieurs, Mme de Sérilly vient de perdre la parole, elle ne peut vous dire son état ; moi, je vous déclare qu’elle est enceinte. » Et Mme de Sérilly fut transférée de la Conciergerie à la maison de l’hospice de l’Évêché. Elle n’en fut pas moins inscrite sur la liste des suppliciés. Son extrait mortuaire fut dressé. Lorsqu’après thermidor elle fut appelée en témoignage dans le procès de Fouquier-Tinville, elle apparut comme un fantôme, son acte de décès à la main[1]

Le soir même (21 floréal) à six heures du soir, l’exécution des condamnés eut lieu. Le bruit s’étant répandu dans Paris que Madame Elisabeth allait être conduite à l’échafaud, Mme Beugnot voulut se placer sur son passage afin de prier pour elle et de recevoir son dernier regard. Elle se rendit dans ce dessein au coin de la rue Saint-Honoré. Le sinistre cortège s’avançait. Il était ce jour-là composé de six charrettes. Mme Beugnot jette un coup d’œil sur la première.

  1. Mémoires de Lombard de Langres. — Mémoires du comte Beugnot, t. Ier.