Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« SOULAVIE. — L’ennemi approche; je ne crois pas le roi en sûreté.

« MONTMORIN. — L’infortuné monarque est perdu; je ne vois qu’un moyen de le rétablir un jour : c’est une déclaration de la république; cette déclaration seule peut sauver le roi. Cette république sera terrible contre l’ennemi; elle sauvera le territoire intact; elle sera déchirée par les factions intestines. La révolution se purgera ainsi de ses immondices. Vous avez vu au 14 juillet La Fayette et d’Orléans se brouiller. Peu de jours après, vous avez vu le parti de Mirabeau et de Lameth se diviser. Les jacobins et les feuillans étaient frères avant la révision. Les jacobins, à l’époque de la déclaration de guerre, se sont encore divisés en parti de Robespierre et en parti de Brissot. C’est l’âme de la révolution que la scission et le trouble... Terminons la conférence par un service signalé que vous pouvez me rendre. Je suis dans des peines cruelles sur Mme de Montmorin. Dans quelles souffrances l’interrogatoire de l’assemblée nationale ne l’aura-t-il pas jetée? Faites-moi la grâce de passer chez elle. Elle demeure au milieu de la rue Neuve-des-Mathurins. Elle sera glacée d’effroi en voyant arriver du comité quelqu’un de ma part; mais dites-lui un mot qui la rassurera, c’est que je me porte bien.

« SOULAVIE. — Je vous demanderai, de mon côté, une autre grâce. Vous n’avez rien pris depuis vingt-quatre heures; je sors et je vais vous faire servir à dîner.

« MONTMORIN. — Je resterai encore dans cet état, n’ayant aucun besoin.

« SOULAVIE. — Afin que vous mangiez sans crainte, j’irai chercher le dîner moi-même.

« MONTMORIN. — Vous ne pourriez plus me rendre aucun service, car votre pitié vous rendrait très suspect, et je désire de vous que les pièces de mon ministère soient par vous remises au comité. Convaincu de mon patriotisme, je ne balance pas à faire cette proposition.

« SOULAVIE. — Je ne puis toucher aux papiers du comité, mais les voilà dans ce coin. Qui vous empêche de les mêler comme un jeu de cartes? Les députés s’occupent bien de papiers! Ils sont ici pendant deux ou trois heures occupés à se quereller; après quoi, ils paraissent à l’assemblée et coulent la journée avec des femmes ou dans les plaisirs. Dans le moment actuel, il s’élève une rivalité entre eux et la municipalité. C’est ce qui pourrait vous arriver de plus heureux.

« MONTMORIN. — Soyez patriote, monsieur; vous serez pour moi un défenseur officieux bien précieux. Abandonné de toute la terre,