Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/855

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III.

Deux mois nous séparent des massacres de septembre. La France entrait visiblement dans la république : c’était la conséquence de la guerre. Barnave, découragé et triste, avait pris congé de Marie-Antoinette ; il avait dit adieu à Montmorin avec les plus funestes pressentimens. Il se retirait dans le Dauphiné, attendant que le bourreau vînt l’y chercher.

La journée du 20 juin faisait prévoir celle du 10 août. Montmorin s’était mis en évidence; il était signalé comme ayant eu la main sur le pommeau de son épée, à côté du roi, pendant qu’on le coiffait du bonnet rouge. Les journaux l’attaquent, dès lors, avec une rage nouvelle. Il n’avait plus d’autre ambition, dans ces dernières semaines de la monarchie, que d’être un serviteur fidèle; cependant il rencontre La Fayette et échange avec lui quelques paroles désespérées. Après avoir expédié de son camp à l’assemblée une lettre où il attaquait à la fois le ministère Dumouriez et la société des Jacobins, le général était allé à Paris. Il avait paru à la barre, avait parlé de l’indignation de l’armée. Puis il avait rendu un dernier hommage au roi et à la reine, qui continuaient à ne voir en lui qu’un démagogue. La Fayette, méditant déjà son volontaire exil, était reparti pour la frontière.

La vie de la famille royale étant l’unique préoccupation de Montmorin, il s’était assuré le dévoûment de M. de Liancourt, commandant à Rouen quatre régimens, et, de concert avec Malouet, il avait arrangé avec l’ordonnateur de la marine au Havre, M. de Mistral, l’armement d’un yacht destiné à porter en Angleterre Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfans. L’intendant de la liste civile, Laporte, avait remis au roi une lettre explicative de Malouet. On ne put en tirer toujours que ce mot : « L’affaire de Varennes est une leçon ; nous verrons. » Lorsque Laporte transmit ce dernier refus : « Allons, s’écria Montmorin, il faut en prendre notre parti ; nous serons tous massacrés, et ce ne sera pas long. »

Paris était tout entier debout depuis les premiers échecs de nos armées: les enrôlemens volontaires commençaient, les défilés des sections se succédaient avec enthousiasme. Le manifeste du duc de Brunswick, bien loin d’affaiblir l’esprit public, l’excitait. De quelle utilité pouvaient être désormais les réunions à l’hôtel de la rue Plumet? Lally, Clermont-Tonnerre, La Tour du Pin, Bertrand de Molleville y venaient, et aussi Malesherbes, et enfin Gouverneur-Morris. Ils étaient instruits en détail de tous les préparatifs du