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accusations acceptées sans contrôle et qui étaient dans l’air n’était plus douteuse. Montmorin courait avec intrépidité à la mort.

Dans la séance du 20 mai, Gensonné et Brissot avaient dénoncé encore le comité autrichien. Deux jours après, les débats solennels commencent; c’est Gensonné qui parle le premier. « J’ai demandé la parole sur la lettre du roi, dit-il, parce que l’ordre donné au ministre de la justice et transmis par lui au commissaire près le tribunal de Paris m’a paru violer la constitution et la loi, et qu’il est de votre devoir de rappeler à leur exacte observation tous les fonctionnaires publics qui tenteraient de s’en écarter. Cette démarche qu’on a fait faire au roi, l’ordre donné au ministre de la justice, l’invitation au corps législatif de se dessaisir des pièces relatives aux conspirations, les rapports de cette démarche avec l’accusation intentée par les ex-ministres Bertrand et Montmorin, avec la conduite du juge de paix La Rivière, ne peuvent laisser aucun doute sur l’obsession qu’exercent encore sur l’esprit du roi les agens de cette conspiration que depuis longtemps l’opinion publique a désignée sous le nom de comité autrichien. » Malgré le talent puissant de Gensonné, l’assemblée était en majorité indécise, lorsque Brissot, l’ennemi personnel de Montmorin, prit la parole pour préciser les faits. Il faut lire son discours tout entier dans le Moniteur. L’accusation y est développée avec art et perfidie : il cite la correspondance diplomatique avec M. de Noailles, ambassadeur à Vienne; il isole les phrases, il isole même les mots; dans la lettre du 3 août 1791, il extrait un fragment; il ne le réunit pas à la lettre entière pour en juger l’esprit; il le subdivise au contraire en petites parties, qu’il détache pour les commenter séparément. Sans hésiter, il transforme en ennemis de la révolution ses premiers chefs, en ennemis de la constitution de 91 ses principaux auteurs. Il se souvient des tablettes de Zadig, dont les fragmens mal rapprochés pouvaient offrir un sens coupable. Il essaie de cet artifice sur la correspondance de Montmorin ; il prend une ligne dans sa lettre du 3 août, une autre ligne dans sa lettre du 19 septembre, et il compose ainsi une phrase qu’il récite sans interruption, invitant bien à en peser les mots ; il en altère même la signification; et Montmorin ayant écrit qu’il ne voulait faire ni l’apologie, ni la censure des nouveaux principes dont l’empereur d’Autriche redoutait l’expansion (lettre du 3 août, pages 31 et 32), Brissot lit : « Je ne ferai ni l’apologie ni la censure des pouvoirs nouvellement créés. » En avançant dans l’examen de cette dénonciation, on frémit de voir sur quelle légèreté est fondé un décret d’accusation. Brissot dit-il, par exemple, que Montmorin s’opiniâtrait à conserver dans leurs places des personnages hostiles, tels que M. de Castelnau, résident de France à Genève ; on fouille les pièces et l’on voit que