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aussi bien que dans sa condition physiologique... » — « L’unité substantielle de l’humanité ne peut pas seulement être mise en question par la biologie, où l’on enseigne que l’espèce comprend les descendans d’un commun ancêtre, et où l’on démontre de la façon la plus palpable que la reproduction est une simple croissance sous la forme d’un fractionnement. » Si on oppose à M. Secrétan la conscience individuelle, il répond que cette conscience « n’est après tout qu’une sensation, pour ne pas dire la borne d’une sensation. » — « La conscience, dit-il encore, n’est qu’une forme identique en chacun de nous; la forme n’importe pas seule; » or, la matière, le contenu de la conscience, nous vient du tout. Nos sentimens et nos pensées « ne sont point à nous; » nos inventions mêmes « sont des réminiscences; « toutes les consciences sont « des instrumens plus ou moins d’accord où le même air se répète. «  Malgré ces déclarations formelles, l’auteur se défend du panthéisme autant que de l’atomisme ; il croit avoir trouvé un milieu entre ces deux extrêmes parce qu’il déclare conserver le libre arbitre de l’individu, tout en affirmant sa détermination par le tout dont il est solidaire. Encore faudrait-il, pourtant, une conciliation quelconque entre deux thèses qui présentent plus que « l’apparence » d’une contradiction : une partie libre qui doit être un tout, et cependant n’est rien en dehors du tout. Nous ne trouvons pas cette conciliation chez M. Secrétan; nous ne la trouvons pas davantage chez M. Marion. Ni l’un ni l’autre n’a levé la contradiction qui existe entre le libre arbitre, pouvoir-contingent des contraires, et cette solidarité qui, comme ils l’entendent, n’est qu’un autre nom de la nécessité universelle. Comment l’homme, simple feuille périssable « d’un laurier toujours vert, » peut-il être vraiment libre? Si la première partie de la formule morale, solidarité, est au-dessus de toute contestation, la seconde partie, liberté, demeure problématique.

La solidarité même n’est incontestable qu’au sens expérimental et scientifique, nullement au sens métaphysique et théologique de M. Secrétan, qui veut en déduire l’unité de tous les hommes en Adam, l’unité de tous les êtres en Dieu. C’est ce que vont rendre manifeste les deux applications principales de sa doctrine : 1° la théorie de la chute ou de la solidarité dans le péché; 2° le retourna Dieu par la charité ou par la solidarité de l’amour. La morale philosophique de M. Secrétan est la morale théologique mise en formules, avec ses profondeurs et aussi, il faut le reconnaître, avec ses obscurités. Il y a toujours quelque péril à raisonner les mystères; le philosophe est cependant obligé de le faire à la suite de M. Secrétan lui-même, qui, sacrifiant à l’esprit du siècle, s’efforce