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vol s’ajoutait à l’assassinat. Toute personne escortée par les agens et qui, par hasard, échappait de leurs mains, se trouvait entièrement dépouillée. Partout le meurtre et le pillage. Mais c’est devant la préfecture de police que les scènes les plus affreuses, que les assassinats les plus monstrueux se produisaient. Saïd-Kandil, enfermé dans sa chambre, pâle, prétextant qu’il avait pris le matin une médecine pour expliquer son état et excuser son immobilité, refusait de s’occuper de ce qui se passait au dehors. Il laissait couler le sang; n’était-ce pas l’ordre d’Arabi? Quant à l’armée, appelée au secours par Omar-Pacha-Loutfi, elle ne bougeait pas, attendant son heure. Enfin le massacre ayant assez duré, les régimens arrivèrent. Il leur suffit de paraître pour que tout se calmât. En une minute, l’ordre fut rétabli. N’était-il pas évident que l’armée seule était capable de maintenir la sécurité publique?

Cependant les conséquences des massacres pouvaient être graves. Des consuls avaient été blessés; les amiraux Français et anglais avaient failli être pris dans la bagarre. Ils étaient rentrés à bord avec bien des difficultés, et les flottes, hélas ! n’avaient point bougé, donnant pour la première fois à l’Orient l’incroyable spectacle de vaisseaux européens assistant à l’égorgement d’Européens, au pillage et au meurtre de chrétiens sans tirer un seul coup de canon. Mais qui sait si l’Europe n’allait pas s’émouvoir? La grande préoccupation d’Arabi était de laver d’avance l’armée du reproche de connivence dans des massacres qu’elle devait être censée avoir apaisés. La tâche n’était pas facile. Comment expliquer la conduite des agens de police? Elle s’était manifestée au grand jour. « Quand le trouble eut augmenté dans la cour de la préfecture de police, dit un des témoins, j’aperçus quelques individus de la basse classe et quelques soldats frappant à coups de couteaux les blessés étrangers qui y étaient transportés;.. j’ai remarqué, en outre, que les étrangers qui entraient à la préfecture de police en sortaient immédiatement, ils fuyaient ;.. à leur sortie, ils étaient accueillis par la populace, qui les assassinait. Ensuite on les traînait à la mer, où on les jetait après les avoir dépouillés... » Malgré le soin pris pour se débarrasser des cadavres en les livrant à la mer, le sang versé criait contre la police. L’armée régulière n’était pas moins compromise. Pendant plusieurs heures, elle avait refusé d’obéir aux réquisitions qui lui étaient adressées, et ce ne fut qu’à la nuit qu’elle consentit à intervenir. Pourquoi, sinon parce qu’il fallait que le massacre eût de l’ampleur et de l’importance? Un bataillon de police mis au service du gouverneur de la ville avait montré une incroyable indiscipline. « Quand je chargeais les soldats, dit Omar-Loutfi, d’appuyer mes ordres sur un point, je m’apercevais que, dès que j’étais sur un