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avaient dit : « La sécurité publique nous intéresse seule. Nous soutiendrons celui qui saura la maintenir. » Ils avaient mieux fait, ils en avaient rendu Arabi responsable. Celui-ci s’était récusé, disant qu’on lui enlevait le pouvoir ou qu’on ne le lui rendait pas complètement. Il était donc utile de faire voir que le khédive était incapable de maintenir la sécurité publique, tandis que l’armée n’avait qu’à se montrer pour la rétablir. De plus, la France et l’Angleterre semblaient parfaitement unies et décidées à agir seules sans se tourmenter da reste de l’Europe. Il était donc également utile de créer une situation d’anarchie telle que toutes les puissances ne pussent se dispenser d’intervenir et arrivassent par là à se neutraliser les unes les autres. On verra tout à l’heure que ce dernier calcul n’était pas vain et que les massacres d’Alexandrie firent sortir, pour un instant, l’Autriche et l’Allemagne de leur neutralité. Arabi entretenait des relations très suivies avec le consul autrichien, qui, durant tout l’hiver, avait favorisé de son mieux les progrès du parti national. Pour l’obliger à suivre ce parti jusqu’au bout, il fallait le mettre en présence d’une révolution oui la vie de ses nationaux fût en péril. C’est pourquoi on prit un parti décisif, et l’on prépara le massacre du 11 juin. Il ne peut pas y avoir l’ombre d’un doute sur les auteurs et sur les origines de ce massacre. L’instruction judiciaire a démontré de la manière la plus éclatante qu’il a été l’œuvre d’Arabi. Personne d’ailleurs parmi ceux qui connaissaient l’Égypte n’avait à ce sujet d’hésitation. Jamais une population aussi molle, aussi naturellement craintive, aussi obéissante que la population égyptienne, ne se fût livrée à de pareilles horreurs sans l’instigation de celui qui tenait le pouvoir. Or, le 11 juin, Arabi était le maître, le maître absolu ; tous tremblaient devant lui; rien ne se faisait sans son ordre; toute la force était entre ses mains; ses amis seuls détenaient l’autorité. Interrogé par une commission d’enquête judiciaire, il n’a pu échapper à la responsabilité de son crime qu’en accumulant mensonges sur mensonges, qu’en niant les faits les plus évidens, qu’en repoussant les témoignages les plus irrécusables. Chaque fois qu’on le mettait en présence d’une pièce écrite de sa main, il contrefaisait l’étonnement et affirmait qu’il n’en avait conservé aucun souvenir; chaque fois qu’on lui rappelait un fait écrasant pour lui, il en donnait quatre ou cinq explications contradictoires. En un mot, accablé par l’évidence des preuves, il n’a eu d’autre ressource que la négation absolue, laquelle équivalait toujours à un aveu.

Que le massacre fût organisé d’avance, c’est ce qui n’est pas contestable. Arabi et ses amis ont essayé de soutenir qu’il avait éclaté fortuitement à la suite d’une rixe entre un Maltais et un