Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/773

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les mensonges en paroles et en actions de Mahmoud-Samy, il me faudrait plusieurs volumes. » Interrogé sur l’accusation portée contre lui par Chérif-Pacha, Mahmoud-Samy s’est borné à répondre dans son interrogatoire que, si Chérif-Pacha affirmait ce qu’il disait, c’est que cela devait être vrai. Quant à sa conduite en général, il l’a expliquée par la peur. A l’en croire, il a été jusqu’au bout l’esclave des colonels. S’il leur a cédé sur tout, jusqu’aux massacres et à l’incendie d’Alexandrie inclusivement, c’est qu’il était menacé par eux, c’est qu’il craignait pour sa vie. Excuse misérable de la part d’un homme qui s’était bien battu en Crète et qui a montré quelque courage militaire jusque dans la dernière insurrection.

Quoi qu’il en soit, mis à la tête de l’armée par la plus fatale inspiration, à la suite d’une émotion de caserne qu’on le croyait capable de calmer en quelques jours, Mahmoud-Samy n’a rien épargné au contraire pour la faire dégénérer en révolution. Le procédé qu’il a employé à cet effet était des plus simples. Sachant parfaitement que, dans un pays comme l’Egypte, les places et l’argent sont le mobile de tout, il a déclaré qu’il ne pouvait maintenir l’armée qu’en augmentant la solde des officiers et des soldats. On a eu la sottise de le croire, et c’est la cause de tous les malheurs qui ont suivi. Dans la première émeute, deux régimens seuls avaient donné. Mais l’armée tout entière ayant reçu le prix de la révolte, il n’y a plus eu parmi elle un seul homme que l’esprit d’insubordination n’ait gagné. Du moment qu’il y avait un profit dans l’insurrection, chacun a prétendu être insurgé. Le régiment d’Arabi, qui avait refusé de marcher contre Abdin, les régimens d’Alexandrie qui étaient resté, en dehors des événemens se sont ralliés aux meneurs. Pour ceux-ci, à ce qu’il semble au premier abord, le calme, la soumission auraient été la conduite la plus sage, car, ayant obtenu le pardon du khédive, ils avaient tout intérêt à faire oublier leur faute. Mais, défians comme des fellahs, ils craignaient l’avenir ; ils ne pouvaient croire que la clémence de leur souverain fût sans pensée de derrière; ils s’attendaient à ce que le châtiment, évité une première fois, vînt les atteindre tôt ou tard; ils ne voyaient de sauvegarde que dans de nouvelles entreprises leur assurant la domination de l’armée et par elle la possession du pouvoir. De là leurs efforts pour compromettre tous les officiers dans leur cause. Le lendemain de l’insurrection de février, une conspiration permanente commençait dans les casernes ; on se réunissait chaque soir; des conciliabules clandestins servaient aux préparatifs de la lutte; on se jurait sur le Coran, sur tout ce qu’il y a de sacré au ciel et sur la terre, de ne jamais se diviser, de marcher tous ensemble à l’assaut du gouvernement. Mahmoud-Samy était le protecteur