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de son crime ; aucun n’a eu le courage d’avouer à quel sentiment il avait obéi en se soulevant contre le khédive et les Européens. Tous, sans exception, ont affirmé, au contraire, qu’ils avaient été des sujets fidèles de leur souverain, des amis dévoués de l’Europe. Si leur conduite n’a pas répondu à l’excellence de leurs intentions, c’est qu’ils ont eu peur, c’est qu’ils ont cédé à la violence. Arabi tremblait devant ses officiers, ceux-ci tremblaient devant lui ; les ministres du gouvernement national obéissaient avec terreur à l’armée, l’armée n’aurait jamais eu le courage de résister aux ministres du gouvernement national. A lire les dépositions de l’enquête judiciaire, il semble que, pendant plusieurs mois, personne en Égypte n’ait joui de sa liberté, que personne n’ait osé en user, que tout le monde ait obéi à une force supérieure, insaisissable, qui conduisait les hommes et les événemens. La crainte a été le mobile universel des actions ; mais les intentions sont restées bonnes. C’est sans doute à cause de cela que les Anglais ont montré tant de mansuétude. Comme Dieu, ils ont sondé les cœurs et les reins, et ils se sont aperçus que si les mains des insurgés étaient ensanglantées, leurs âmes timides avaient conservé une parfaite pureté. L’insurrection égyptienne a mal fini : sa fuite honteuse à Tel-el-Kébir n’était rien comparée au désaveu qu’elle a fait d’elle-même devant la commission d’enquête et devant la cour martiale.


I.

On sait dans quelles circonstances s’est produit au Caire le premier mouvement militaire. L’Égypte, après la chute d’Ismaïl-Pacha et l’établissement du contrôle anglais-français, était entrée dans une ère de liberté et de prospérité qui semblait lui promettre le plus heureux avenir. La dette écrasante qui pesait sur elle avait été allégée, par la suppression de près de la moitié de l’intérêt, dans des proportions telles que des excédens inattendus venaient enrichir chaque année le budget égyptien. Cependant le joug odieux qui écrasait la population rurale avait été détruit. Les taxes vexatoires avaient été supprimées; l’octroi qui, dans chaque village, imposait au fellah des charges incessantes, avait disparu de partout, sauf de quelques grandes villes, où il n’avait presque pas d’inconvéniens ; des échéances fixes, correspondant aux époques de la moisson, avaient été établies pour la perception de l’impôt foncier; l’emploi du courbache, comme moyen de perception, avait été interdit ; enfin des études sérieuses préparaient l’organisation d’une justice indigène et d’une justice administrative.

Ces grandes réformes, qui assuraient le bien-être général, ne