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En même temps que l’affaire du second canal paraissait définitivement résolue, la chambre allait aborder le 16 courant la discussion des conventions conclues entre l’état et les chemins de fer. De ce côté, aucune surprise à craindre. L’opinion publique imposait si impérieusement à nos chambres l’acceptation des propositions du gouvernement que le débat en se prolongeant plus ou moins ne pouvait modifier le résultat final, et que l’on devait considérer comme acquis le bénéfice depuis si longtemps attendu, pour les finances publiques, du règlement de la question des chemins de fer. La hausse des valeurs de la compagnie de Suez avait été accompagnée de celle de nos fonds publics, ce qui était de toute justice et promettait une heureuse fin de mois, au point de vue du relèvement général des affaires.

Nous avons dit que ces prévisions s’étaient trouvées déçues dès le jour même de la liquidation par un retour brusque aux anciens cours sur toutes les valeurs autres que nos fonds publics, dont l’amélioration s’est au contraire maintenue et accentuée pendant la seconde quinzaine du mois. Dès lors, en effet, on voit les rentes françaises suivre un autre courant que celui des valeurs propres de spéculation, telles que les actions et Parts civiles de Suez, l’Unifiée d’Egypte, la Banque ottomane, etc. Au reste, les transactions deviennent encore moins actives qu’au commencement du mois, et le marché retombe dans l’atonie d’où un mouvement éphémère venait de le tirer pour quelques jours. L’extension des ravages du choléra dans toute la Basse-Egypte et surtout au Caire, des nouvelles inquiétantes de Madagascar, ont servi de prétexte aux vendeurs pour peser de nouveau sur les cours, mais ce qui leur a surtout permis de déjouer sans peine les efforts des haussiers, c’est l’attitude absolument hostile prise par une partie de la presse anglaise et par un grand nombre de membres de la chambre des communes à l’égard de l’arrangement conclu entre lord Granville et M. de Lesseps. Il semblait maintenant que le commerce anglais n’eût obtenu aucune concession, et qu’en signant le contrat, les ministres de la reine eussent trahi les intérêts britanniques. Le but de la campagne engagée contre la compagnie commençait d’ailleurs à se dévoiler clairement; il ne s’agissait plus d’obtenir pour le transit de nouvelles facilités au triple point de vue de la durée, de la sécurité et du prix du passage, mais bien de contester à la compagnie l’existence du monopole qu’elle tient de ses actes de concession, et de revendiquer pour une compagnie anglaise le droit de construire un second canal absolument indépendant et concurrent du premier.

L’opposition à l’arrangement a pris en si peu de temps au-delà du détroit une telle vivacité et les passions politiques se sont déchaînées à cette occasion avec une telle violence que l’adoption par le parlement, de certaine qu’elle avait paru d’abord, devenait fort douteuse. On