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Prenez garde seulement : ce n’est pas la guerre, et c’est pourtant la guerre puisqu’il faut agir par les armes, et pour venger la mort du malheureux Rivière, et pour maintenir une prépondérance acquise, puisqu’on a chaque jour affaire à ces bandes de Pavillons-Noirs ou de Pavillons-Jaunes, qui ne sont que des soldats déguisés de l’Annam et de la Chine. De sorte que M. le ministre des affaires étrangères n’a pas pu réellement préciser le caractère de cet état singulier qui n’est ni la guerre ni la paix. Voilà le fait simple et évident : nous restons dans l’inconnu sur les bords du Fleuve-Rouge, comme on était dans l’inconnu à la veille de la campagne de Tunis, et c’est là justement ce qu’il y a d’inquiétant dans une affaire lointaine, mal définie, où la France peut se trouver entraînée au-delà de ses intentions et de ses prévisions.

Qu’en est-il, d’un autre côté, de cette expédition de Madagascar, au sujet de laquelle un jeune député aussi intelligent que modéré, M. Francis Charmes, demandait récemment quelques explications? Là aussi, il y avait une situation compromise; depuis quelques années. Le gouvernement a envoyé des forces navales aux ordres de M. le contre-amiral Pierre pour relever notre influence et assurer, fût-ce par les armes, l’exécution d’anciens traités. L’amiral Pierre a rempli sa mission en vaillant soldat; il s’est emparé de quelques positions, notamment du port de Tamatave, sur la côte orientale de l’île. Il n’a pas eu de peine à disperser des bandes indigènes d’Hovas qui se croyaient de force à lui résister. Malheureusement la prise de Tamatave, où campent aujourd’hui nos marins, aurait été, au dire des Anglais, marquée par un incident imprévu et pénible. M. L’amiral Pierre, pour la sûreté de ses opérations, aurait jugé nécessaire de prendre quelques mesures contre des agens étrangers, de signifier notamment un ordre d’expulsion au consul britannique, M. Pakenham, qui était déjà gravement malade et qui est mort avant l’heure fixée pour son départ. Qu’y a-t-il de vrai en tout cela? On ne le sait pas même encore; M. le ministre des affaires étrangères n’a pu rien dire de précis à la chambre. Ce qu’il y a de caractéristique, c’est le bruit qu’on a fait aussitôt dans certains pays avant même de savoir exactement ce qui s’était passé à Tamatave. C’est le signe d’une situation délicate où les moindres incidens dénaturés ou exagérés peuvent susciter à tout instant des complications, peut-être des dangers dans les rapports des peuples. Ce n’est point sans doute une raison, ainsi que le disait justement l’autre jour M. le duc de Broglie, pour renoncer à des prétentions légitimes, pour abandonner la défense de nos intérêts et de nos droits. c’est un motif pour mesurer tout ce qu’on fait, pour s’étudier à dissiper d’avance les malentendus par la netteté des actes et du langage, pour « ôter même à l’imprévu tout ce que la prudence peut lui enlever. »