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surannées, bien des théories chimériques et même des incidens disgracieux, n’aient trouvé l’occasion de se produire dans cette mêlée de discours ; mais la discussion reprend toujours sa marche, vigoureusement conduite par M. le ministre des travaux publics, par M. le rapporteur Rouvier, et la chambre, si souvent divisée ou incohérente, semble assez décidée à aller jusqu’au bout, sans se laisser déconcerter ou émouvoir par les diversions passionnées. Au fond de quoi s’agit-il? La question, si grosse qu’elle paraisse, est après tout assez simple. On a entrepris d’immenses travaux sur la foi d’inépuisables ressources dans le budget ou avec la dangereuse pensée qu’on pourrait recourir indéfiniment au crédit. Aujourd’hui l’heure des mécomptes ou des réflexions est venue. Le budget, au lieu des excédens qui ont éveillé tant d’illusions et fait croire à une opulence sans limites, n’a plus que des déficits inquiétans. Recourir dans ces conditions à des emprunts incessant, indéfinis, ce serait une sorte de dilapidation de la fortune nationale. Il y avait cependant un parti à prendre. Interrompre brusquement les travaux commencés, on ne le pouvait pas pour bien des raisons. Si on voulait continuer les travaux, à défaut des ressources du budget qui sont diminuées ou des emprunts indéfinis, démesurés qui ne sont plus possibles, quel moyen restait-il donc? Il n’y en avait qu’un sérieux, efficace, c’était de renoncer à beaucoup de chimères dont on s’était payé depuis quelques années, de ramener les travaux à des proportions plus pratiques et d’associer résolument les anciennes compagnies à des entreprises que l’état seul ne pouvait plus mener à bonne fin. M. le ministre des travaux publics, et c’est son mérite, n’a point hésité. Placé en face de la réalité telle qu’elle apparaissait, et dans le budget et dans l’état général du crédit, il a pris son parti; il est entré en négociation avec les compagnies et il a signé les conventions qui sont aujourd’hui soumises à la chambre. M. le ministre des travaux publics a évidemment agi en homme d’affaires sensé et pratique, reconnaissant une nécessité, s’efforçant de dégager d’une situation difficile ce qu’il y avait de possible; mais il est bien clair qu’en agissant ainsi, en revenant au système des transactions avec les compagnies, il devait rencontrer devant lui toutes les idées, les théories, les utopies qui se sont fait jour depuis quelques années, qui une fois de plus sont rentrées en lutte dans cette longue et vive discussion.

Oui, sans doute, la guerre a recommencé contre la « féodalité financière » et la « ploutocratie, » contre les compagnies qui sont suspectes de ne pas être assez républicaines, contre le monopole des transports et l’exagération des tarifs livrés à la haute banque. Le thème n’a rien de nouveau, et M. Madier de Montjau ne l’a pas rajeuni. L’avantage des conventions, est justement d’en finir, au moins pour le moment, avec les déclamations et les idées vagues, de renouer les traditions des grandes combinaisons de 1859, de raffermir l’alliance un peu ébranlée de l’état et