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sais, pour employer le mot vulgaire et significatif, comment il se fait que Byron ait toujours l’air de poser. Ces observations n’empêchent pas que tous ces chapitres du livre de M. Filon ne soient en eux-mêmes excellens. Mais on concevra que nous ayons une préférence pour ceux où nous nous retrouvons d’accord avec lui pour le fond, comme dans les chapitres sur Swift, sur Addison, sur les grands romanciers du XVIIIe siècle, sur les grands poètes du commencement du XIX», ou encore sur Carlyle, sur Macaulay, sur Thackeray, sur Dickens.

Nous ne saurions finir, quelque dédain qu’il affecte lui-même pour les industrieux artisans du style, sans louer expressément, dans le livre de M. Filon, l’élégante agilité, le bonheur fréquent, le mérite rare de la forme. On en a pu voir déjà quelques exemples. L’homme d’esprit décoche le trait avec autant de sûreté que de rapidité, et cet air de négligence qui en double le prix ; l’historien excelle surtout à résumer en deux lignes tout un jugement sur les œuvres et sur les hommes. C’est Charles Lamb, qu’il appelle un peu injustement peut-être, mais à coup sûr très joliment « le plus aimable des esprits faux ; » c’est Samuel Johnson, dont il caractérise ainsi un conte philosophique trop vanté: « Prenez un conte de Voltaire, ôtez-en l’impiété, ôtez-en la malice : il ne reste rien, et vous avez Rasselas ; » c’est Sterne encore dont il dira que le Tristram Shandy et le Voyage sentimental ont créé « une sorte d’école, chère aux gens qui possèdent la timidité de la vertu sans la vertu elle-même. » Ou bien encore c’est tout un genre, et c’est toute une révolution dans la littérature, vivement caractérisés par une image ingénieuse : « On avait trouvé, avant Gutenberg, l’art de sculpter les lettres dans le bois, mais la découverte de l’imprimerie lui appartient parce qu’il a trouvé la lettre mobile. Steele et Addison sont les inventeurs du journalisme, parce qu’ils ont mobilisé l’Essai, comme Gutenberg avait mobilisé le caractère d’imprimerie. » J’aime encore assez, dans un temps où l’on publie tant de correspondances, — beaucoup plus que le plus déterminé lecteur n’en saurait consommer, — ce jugement dégagé sur le genre épistolaire. «Les écrivains superficiels, en général, et les femmes, en particulier, y réussissent, sans doute parce que dans une lettre, on n’est tenu ni de développer, ni de justifier sa pensée... Des caractères esquissés, de petits tableaux de genre, un grain de méchanceté, un grain de philosophie, un air de profondeur qu’on se donne par momens, en jetant une sentence écourtée au milieu d’un long bavardage descriptif, en voilà assez pour faire une réputation à un esprit frivole, et pour lui attirer le suffrage de tout ce qui lui ressemble, c’est-à-dire des cinq sixièmes du public. »

Quelquefois enfin le trait va plus loin, et, par-delà les œuvres de la littérature ou de l’art, atteint les mœurs de la race elle-même, comme lorsque, dans les Contes de Cantorbéry, M. Filon note au passage « la sensualité légale, cette chose essentiellement anglaise, » ou, comme