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Sur la nature de ces observations, on peut juger par où pèche le livre de M. Filon. Une certaine exactitude y fait défaut, et surtout l’exactitude bibliographique, laquelle pourtant de plus en plus, à mesure que les œuvres s’accumulent dans les bibliothèques, deviendra le fondement même de l’histoire des littératures. Des ouvrages comme celui de Hallam sur la Littérature de l’Europe pendant les XVe, XVIe et XVIIe siècle, peuvent manquer, et manquent effectivement, je l’accorde à M. Filon, qui est dur pour Hallam, de bien des qualités. Mais ils n’en sont pas moins infiniment précieux. Et ce qui manque à l’ouvrage de M. Filon, à son tour, c’est justement un peu de cet ordre, et de cette méthode, et de cette rigueur de classification qui sont en excès dans celui de Hallam. Je n’hésite pas à dire qu’il y faudrait aussi plus de renseignemens, et même de notes, biographiques et bibliographiques. Il est difficilement admissible, puisque nous parlions de Macaulay, que, dans une Histoire de la littérature anglaise, on ne nous donne la date ni de sa naissance, ni de sa mort, ni de la publication de ses principaux ouvrages. Ce sont autant de moyens de contrôle que l’on est tenu d’offrir au lecteur, et qu’il n’est pas mauvais de se donner à soi-même. Il n’y a bien souvent qu’une erreur de date au fond des généralisations téméraires d’une certaine critique. Même observation pour les indications bibliographiques : il faut absolument que nous puissions nous reporter aux œuvres, et il faut surtout que l’on nous fasse connaître où nous trouverons des renseignemens plus nombreux, plus étendus, plus détaillés que n’en peut contenir un seul volume où l’on ramasse en six cents pages six cents ans d’histoire littéraire.

M. Filon, quelque part, écarte de l’œuvre de Shakspeare un certain nombre de pièces qui ne sont pas, en effet, considérées d’ordinaire comme étant l’œuvre propre du grand poète. On voudrait savoir les raisons de M. Filon, et, à défaut de ces raisons, on voudrait la mention du livre où on les trouvera. J’en serais d’autant plus curieux, pour ma part, que, parmi les pièces qu’il lui enlève ou dont il le décharge, M. Filon a classé Timon d’Athènes, qui passe assez communément pour être de Shakspeare. Où sont les preuves? et à défaut de preuves, s’il n’avait pas la place qu’il fallait pour les développer où pourrons-nous les aller chercher? C’est comme ailleurs, quand M. Filon nous parle de l’auteur de Robinson Crusoé. « Swift, nous dit-il, le traite d’ignorant, Leslie de boute-feu, Prior de libelliste, Toland d’homme vendu... Il passe à la fois pour un esclave des ministres et un démagogue, pour un esprit turbulent et pour un mercenaire, pour un fanatique et un athée... c’était tout bonnement un honnête homme. » Rien ne paraît aujourd’hui moins assuré que cette conclusion. Si M. Filon s’était imposé de nous indiquer en note les travaux les plus récens sur chaque auteur dont il traite, il n’aurait pu manquer de nous signaler ce livre de M. Minto et ces recherches de