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pour une jambe, et aujourd’hui nous en sommes quittes pour une paire de bottines : c’est bon marché. »

Devenue régente et débarrassée de la tyrannie des Guises, la reine mère donna place à Coligny dans tous ses conseils et fit mine d’incliner vers la tolérance : elle accorda à Coligny et à sa femme, au prince et à la princesse de Condé, à la duchesse de Ferrare, la permission de célébrer leur culte dans leurs appartemens à Fontainebleau ; c’est le moment où le cardinal de Châtillon commença à adhérer publiquement à la nouvelle religion, où Calvin envoyait à l’amiral un aumônier nommé Merlin. On caressa quelque temps l’espoir d’une réforme catholique, d’un mariage entre la foi ancienne et les doctrines nouvelles ; et la reine mère, soit pour gagner du temps, soit pour chercher les formules d’une sorte de religion française, soit pour user les haines dans de vaines discussions théologiques, convoqua les prélats et les ministres au colloque de Poissy ; pendant cette espèce de concile, la cour resta à Saint-Germain, et le culte réformé y fut célébré tout le temps, portes ouvertes, dans les appartemens du roi de Navarre, de Condé, de Coligny, de Jeanne d’Albret. Un mariage eut lieu, en leur présence, à Argenteuil, « à la mode de Genève, » celui de Jean de Rohan et de Diane de Barbançon, et, le 17 janvier 1562, le roi signait à Saint-Germain le premier édit qui admettait la légalité des réunions pour l’exercice public du culte réformé et qui accordait aux églises réformées une organisation consistoriale et synodale.

Coligny avait trop triomphé; les hommages qu’il avait reçus des ministres étrangers envoyés par le palatin et par le duc de Wurtemberg, l’intimité de ses rapports avec Throckmorton, l’ambassadeur d’Elisabeth, ce rôle de chef du parti réformé qu’il prenait tout naturellement, par le sérieux de sa foi, par la hauteur de son maintien, par l’autorité attachée à toute sa personne, tout le rendait suspect, non-seulement à Philippe II et à son ambassadeur, Chantonnay, non-seulement à Catherine de Médicis, mais aussi à Antoine de Bourbon, jaloux d’une influence qui dominait la sienne. Qu’étaient les Châtillon auprès des Bourbons? Ceux-ci étaient les premiers princes du sang après les enfans de France; sans doute tous les rameaux de la branche de Valois n’étaient pas encore desséchés, les Bourbons devaient beaucoup au connétable de Montmorency, comme les Châtillon ; si l’âme haute de Louis de Bourbon était inaccessible à de bas sentimens, Antoine de Bourbon ne put se défendre de quelque jalousie contre Coligny. Il se mit d’accord avec Chantonnay, et il était sur le point de demander que l’amiral fût renvoyé de la cour, quand celui-ci demanda lui-même à la reine de lui permettre de se retirer à Châtillon. Il partit, laissant le champ libre à