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de Bouillon à Sedan ; il ne se battit jamais pour des gouvernemens, ni pour des villes; il fut le défenseur d’une cause idéale, non pas précisément de ce qui fut appelé plus tard la tolérance, — de ce qu’on nommait le libre exercice de la religion. Il réclamait pour les siens le droit de prier Dieu à leur façon, tandis que les princes allemands professaient la maxime : Cujus religio ejus princeps. Coligny et ses coreligionnaires voulaient seulement le prêche à côté de la messe.

M. le comte Jules Delaborde vient d’élever un véritable monument à la mémoire de Gaspard de Coligny. Tout ce que la patience la plus minutieuse a pu recueillir sur la vie du fameux amiral de France, sur sa jeunesse, sur ses guerres, sur ses négociations, sur sa vie intime, se trouve réuni dans cette histoire, enrichie d’une foule de documens encore inédits, empruntés pour la plupart à notre Bibliothèque nationale et à nos archives. L’historien a pour son héros un culte véritable; ce sentiment l’empêche quelquefois de donner des proportions exactes aux diverses parties de son sujet ; il semble que tout grossisse sous son regard, que tout ce qui touche Coligny ait pareille importance. On peut lui reprocher aussi d’écrire sur le ton de l’hagiologie plutôt que sur le ton de l’histoire : il est impossible de ne pas être fatigué par une sorte de monotonie dans l’admiration ; le style est souvent terne, gris, sans couleur ; on n’y sent point l’éclat, l’inquiétude, l’agitation du XVIe siècle. Coligny nous apparaît toujours le même, dans les camps, à Saint-Quentin, pendant la soirée de Dreux, pendant les marches rapides avec les reitres, comme dans le calme pieux de Châtillon ; on ne voit pas assez bien le terrible homme de guerre, on devine plutôt qu’on n’aperçoit le négociateur, fécond en ressources, familier avec tous les ressorts des cours, enveloppé d’informations secrètes, tenant en main l’écheveau compliqué des affaires de son parti, excellent à conduire les hommes de loin comme de près, secret, actif, infatigable, très souple au besoin, mais ramenant toute chose à des desseins suivis avec une ténacité surprenante. Il y a dans les quelques pages que Brantôme a consacrées à l’amiral un je ne sais quoi qui le fait mieux revivre sous nos yeux que le long panégyrique de M. Delaborde. Sans doute, il y a une saveur particulière dans les éloges d’un ennemi, et politiquement l’on peut tenir Brantôme pour un ennemi de Coligny ; il est assez piquant de voir l’austérité jugée par la frivolité, et la plume légère de l’auteur des Dames galantes a de véritables caresses pour l’amiral, mais il y a dans le portrait de Brantôme autre chose que le mérite des contrastes : on y sent parler la nature même. Coligny s’y montre avec un air d’autorité et de hauteur qui véritablement en imposent : « C’est un grand cas qu’un seigneur simple, et non point souverain,