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avec les autres. Tout le monde le trouvait bon camarade, excepté Dalbert, qui ne parvenait pas à se rassurer. Vainement la petite Marie Deschamps essayait de le calmer.

— Pourquoi as-tu peur ? Tu es un nigaud. Il ne te mangera pas, va !

L’autre hochait la tête, très peu convaincu.

Quand la répétition était finie, Bernardin rentrait chez lui. Il ne rôdait plus chez le père Virgile, comme autrefois ; il ne recommençait plus la hideuse promenade. Ce mauvais temps était passé. Maintenant, après son dîner, il s’en allait dans un petit café de la rue du Bac, où l’on ne connaissait pas son nom. Et là, il usait sa soirée comme un bourgeois paisible, petitement renté. Son caractère devenait de plus en plus doux. Il était poli et aimable avec tout le monde. Ainsi, une après-midi, Marie Deschamps lui dit :

— Soyez donc gentil avec Dalbert. Vous lui faites peur, à ce garçon-là.

Bernardin fut très étonné et se montra dès lors particulièrement aimable pour Dalbert. Il lui parla très affectueusement et l’invita deux ou trois fois à dîner. Si bien que le jeune comédien se rassura peu à peu et arriva même à n’avoir plus peur du tout.

Enfin, le fameux jour se leva. La pièce était admirablement lancée. Le long du boulevard, dans tous les théâtres, dans les journaux, dans les salons littéraires, on parlait beaucoup du Crime de Rueil. Cela s’annonçait comme un grand succès. Les débuts de Bernardin Morel surtout excitaient la curiosité au plus haut point. On discutait à l’avance. Les uns trouvaient cette exhibition scandaleuse, les autres au contraire appelaient cela une tentative originale. Par les indiscrétions des coulisses, on savait que Bernardin serait merveilleux. Quant à la pièce, les artistes s’accordaient à la trouver « empoignante. » Et la curiosité montait, dans ce Paris blasé, dont on ne fixe l’attention qu’à coups de réclame. Elle montait si bien que Chesnel ne voulut personne à la répétition générale. Personne, pas même ceux des critiques célèbres qui font leur compte-rendu dès le lendemain.

C’est par une claire matinée du mois d’octobre que les passans purent lire sur d’énormes affiches semées dans tout Paris l’annonce de la première. Pendant la journée, on agiota sur les billets d’une façon insensée. À six heures du soir, le fauteuil d’orchestre était coté vingt-cinq louis. À huit heures, il montait à cinquante. Dès huit heures et quart, tout le monde arrivait. Et quelle salle ! Toutes les illustrations parisiennes se trouvaient là. Pour la première fois, on venait à une première des Fantaisies-Parisiennes avec la tenue d’une première aux Français. Tous ces gens, habitués à se rencontrer