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diffèrent de celles qui distinguent les autres écoles italiennes et en particulier l’école florentine.

Les causes qui expliquent son infériorité sous ce rapport assurèrent, au contraire, son succès quand elle traita des sujets conformes à ses aptitudes particulières. Tandis que l’on ne peut éprouver en général qu’une très médiocre sympathie pour ses allégories, ses dieux et ses déesses, on regarde sans se lasser les épisodes de la vie du prince, qui contiennent tant de beaux portraits, et les scènes dont la vie ordinaire à la ville et à la campagne a fourni les données. L’art s’y montre plein d’une sève généreuse. Rien n’y trahit la contrainte et l’effort. On s’aperçoit que le peintre n’a eu qu’à suivre la pente de ses inclinations et de ses habitudes. L’intérêt qu’il prenait à ses personnages s’est même étendu à leurs costumes. Les fresques du palais de Schifanoia nous montrent ceux que portaient toutes les classes de la société ferraraise, depuis le duc et ses courtisans jusqu’aux fauconniers et aux gens de la campagne, depuis les dames d’un rang élevé jusqu’aux humbles ouvrières, depuis les magistrats et les poètes jusqu’aux marchands et aux artisans. Tous ces ajustemens, soit par leur forme, soit par leurs couleurs et leurs ornemens, exercent une sorte de séduction, quoiqu’ils n’aient pas l’éclat incomparable des étoffes vénitiennes. Quant aux coiffures des femmes, elles ont été traitées aussi avec un soin qui témoigne de l’importance qu’y attachait celui qui les a composées, en exécutant, sous les yeux de Borso et d’Hercule Ier, les premiers tableaux de genre que l’on connaisse.

Si, après avoir considéré ces fresques comme œuvre d’art, on les observe enfin comme documens historiques, on y trouve, ainsi que nous croyons l’avoir prouvé, matière à des constatations qui ne sont pas sans portée sur la cour des ducs de Ferrare, sur l’état des esprits et sur l’ensemble de la civilisation du XVe siècle. N’en est-ce point assez pour justifier les paroles par lesquelles nous avons recommandé, au début de ce travail, les fresques du palais de Schifanoia aux voyageurs, aux artistes, aux historiens et même aux moralistes ?


GUSTAVE GRUYER.