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souvent de la sécheresse, de la raideur, la recherche de l’expression aux dépens de la beauté et un naturalisme poussé parfois à l’excès. Mais quelle dignité et quelle profondeur de sentiment il a su donner à quelques-unes de ses figures ! Comment rester indifférent en face du plus grand des Saint Jérôme conservés à la pinacothèque de Ferrare? Quelle religieuse admiration inspire l’ange de l’Annonciation dans le chœur de la cathédrale ! Ici, par exception, les lignes ont même une véritable pureté; la physionomie n’est pas moins sereine qu’austère. Que de grâce aussi dans les menus détails, dans les accessoires! Que de majesté dans les monumens qui abritent les personnages! Malheureusement, les créations de Tura sont très inégales. Ainsi, à côté de l’ange si parfait que nous venons de mentionner, la Vierge a un visage anguleux et tout à fait ingrat. Les mêmes observations s’appliqueraient à la Vierge avec deux saints et deux saintes du musée de Berlin et à la Vierge avec six anges de la Galerie nationale de Londres.

Quand la grande salle du palais de Schifanoia fut prête à recevoir des peintures, il y avait longtemps que Cosimo Tura[1] était au service de Borso, car il apparaît pour la première fois sur les registres de dépense des souverains de Ferrare en 1452. Il avait déjà peint pour Vincenzo de’ Lardi (1458) une crèche destinée à la cathédrale et maintenant perdue, pour la famille Sacrati, à San-Domenico, une chapelle qui a été détruite, au siècle dernier, quand on reconstruisit cette église, et il avait représenté sur les vantaux de l’orgue de la cathédrale l’Annonciation et le Saint George qui sont suspendus aujourd’hui aux parois latérales du chœur. De si brillans états de service désignaient naturellement Tura au choix du prince lorsqu’il fut question d’achever la décoration de son palais.

Quel fut son rôle dans l’exécution des fresques précédemment décrites? Quelques personnes, ne reconnaissant nulle part une empreinte assez accentuée de ses qualités et de ses défauts, l’excluent de toute participation directe. Ce qui, selon nous, rappelle le mieux sa manière, et ce que nous croyons pouvoir lui attribuer, c’est l’homme demi-nu qui tient la clé du printemps[2], c’est la femme âgée[3] qui adresse au ciel de si ferventes prières pour le remercier de l’abondance des moissons. Ces figures, que nous avons déjà signalées, semblent l’une et l’autre provenir de la même main : elles ont le relief un peu tranchant des œuvres du Squarcione

  1. L. N. Cittadella a prouvé que Cosimo Tura, appelé aussi Cosmè, naquit entre 1420 et 1430, et mourut entre le mois de décembre 1494 et le mois de mars 1498. (Ricordi e Documenti intorno alla vita di Cosimo Tura detto Cosmè. Ferrara, 1866.)
  2. Dans la zone intermédiaire du compartiment consacré au mois d’avril.
  3. Dans la zone intermédiaire du compartiment consacré au mois d’août.