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Ce qui frappe le plus dans ces peintures, c’est la beauté des portraits, c’est l’intelligence avec laquelle sont rendus tant de types différens. La ressemblance morale semble aussi incontestable que la ressemblance physique. Aussi comme on est tenté d’interroger tous ces personnages pour savoir ce qu’ils ont été! L’un, avec sa courte barbe blanche et ses traits amaigris, a un air d’austérité qui eût convenu à quelque grave magistrat. Un autre, moins âgé et plus vigoureux, a la physionomie énergique d’un ministre capable de faire vaillamment face aux coups imprévus de la politique, tandis qu’un troisième, aux traits calmes et purs, a l’air d’être habitué à considérer les choses humaines en véritable sage. Filippo Lippi, Masaccio, Domenico Ghirlandajo, n’eussent pas désavoué de tels portraits, et Benozzo Gozzoli aurait presque reconnu sa propre manière dans l’élégant fauconnier aux chausses blanches, aux cheveux frisés, qui regarde tomber un oiseau blessé à mort. Certains profils font aussi penser à ceux que présentent les médailles du temps. Comment, par exemple, ne pas se rappeler le portrait de Lorenzo Vecchietti par le médailleur à l’Espérance, quand on considère attentivement le premier personnage du groupe de gauche dans la fresque consacrée à Borso et à son bouffon? Ce personnage, plus jeune et plus gracieux que Vecchietti, a aussi une très abondante chevelure qui frise naturellement. Il est coiffé d’un béret rouge. Son vêtement blanc, aux plis réguliers, est serré à la taille par une ceinture noir et or et laisse voir autour du cou ainsi que sur les bras un vêtement de dessous vert ; la chausse de sa jambe gauche est blanche également, tandis que celle de la jambe droite est rouge. Ce riche costume fait admirablement valoir la fière prestance de celui qui le porte, et dont, malheureusement, on ignore le nom.

Même incertitude regrettable à l’égard du personnage chauve, à la physionomie sympathique, vers lequel Borso se tourne tout en recevant une supplique. Quelques érudits ont pensé à Paolo Costabili, qui fit partie du conseil secret et qui mourut dans un âge avancé, le 2 septembre 1469. D’autres ont porté leurs conjectures sur Lodovico Casella, secrétaire d’état et conseiller du prince. Casella, a donné aux lettres et renommé pour son éloquence, s’était rendu cher au peuple, dans l’exercice de diverses fonctions publiques, par sa droiture, son désintéressement, sa libéralité, sa douceur. Ce fut un deuil général quand la mort le frappa (16 avril 1469). Le jour de ses funérailles, les tribunaux ne siégèrent point et les boutiques restèrent fermées. Les recteurs de l’Université et Borso lui-même, avec les princes de la maison d’Este et avec toute la cour, accompagnèrent ses restes à l’église de Saint-Dominique, où son éloge funèbre fut prononcé par le poète Lodovico Carbone, que recommandent surtout auprès de nous les admirables médailles exécutées