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il regarde les bâtimens déjà fatigués où il instruit ses pupilles, il se dit avec douleur que nulle place libre ne reste pour caser un nouvel orphelin et que, malgré des prodiges de parcimonie, il arrive bien péniblement à maintenir son petit budget en équilibre. Il fait œuvre de salut plus que nul autre cependant, mais il ne ressemble pas au roi de la fable, et ce qu’il touche ne se change pas en or. Il me semble que les mères de famille, celles dont les enfans proprets, vigoureux et sages font la joie, devraient penser aux petits abandonnés que le vice et la misère saisiront à jamais si le bon abbé Roussel ne leur ouvre ses bras. Dans les jours des distributions de prix, au concours général, aux lycées, aux pensionnats, lorsqu’une mère ramène orgueilleusement son fils, frisé pour la circonstance, brillant de santé, rouge encore des accolades de son proviseur, portant ses couronnes au bras, pliant sous le faix des volumes reliés en basane, proclamé au bruit de l’orchestre, aux applaudissemens de ses camarades, qu’elle songe aux pauvres petits déguenillés qui ont traversé la vie pieds nus, qui ont souffert de la faim et du froid, que leur père a battus, que leur mère a chassés et qui ont été tomber à l’Orphelinat d’Auteuil hâves, pitoyables et pleurant. Qu’elle compte les prix que son fils a mérités et dont son cœur a tremblé d’émotion; pour chacun d’eux, qu’elle envoie une offrande, — une aumône, — à la maison généreuse où l’enfance éperdue s’est réfugiée. La gloire se paie; il n’en est pas de plus douce que celle qui vibre aux âmes maternelles; celle-là est assez pure pour donner la main à la charité, pour éveiller la commisération : c’est la dîme du succès; l’enfant malheureux en profitera.

Parmi les élèves de l’abbé Roussel, il y a des ouvriers qui sont intelligens, économes, sobres et qui deviendront patrons. Lorsqu’ils auront fait fortune à l’aide des vertus qu’on leur a enseignées, qu’ils n’oublient pas l’asile où ils ont trouvé un abri, l’exemple de la probité et le souci du travail; qu’ils se souviennent des heures errantes de la première enfance, qu’ils réfléchissent que d’autres sont comme ils ont été, sans pain, sans matelas, sans souliers et qu’ils donnent à la maison où ils ont appris à devenir honnêtes une partie de l’argent que, sans elle, ils n’auraient jamais gagné. Alors, l’orphelinat que nous voyons aujourd’hui sera transformé ; semblable à la mansarde de Jeanne Jugan, à la masure de la rue Léonie, où les Dames du Calvaire ont pansé à Paris leurs premières cancérées, à la maisonnette de la rue Lecourbe, où les frères de Saint-Jean-de-Dieu ont reçu leurs premiers petits incurables, ce n’aura été qu’un germe déposé dans le terrain fertile de la charité. Alors la maison se développera et acquerra l’ampleur qui lui est indispensable pour faire face à la plus impérieuse des nécessités