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plus à s’appuyer que sur eux-mêmes; d’autres sont orphelins aussi, orphelins par la volonté du père et de la mère qui ont poussé l’enfant dehors et versent au cabaret l’argent qu’eût exigé son éducation ; ces orphelins-là ont des parens que la police ramasse souvent dans le ruisseau; l’absinthe a noyé le sentiment paternel et empoisonne la maternité. Ces orphelins du fait de la nature ou de l’abandon, sont les plus flexibles, et entrent, sans exiger trop d’efforts, dans une régularité qui ne déviera pas. Il n’en est pas de même pour les enfans qui restent en relation avec leurs parens, car l’influence que la famille exerce sur eux est presque toujours mauvaise et souvent néfaste. Pour ces gens d’existence dissolue, comptant sur le hasard, — sur la rencontre, comme ils disent, — bien plus que sur le travail, l’enfant est un instrument qu’ils mettent en œuvre pour s’augmenter un peu. Ils ont un mot qui les peint et découvre les difficultés contre lesquelles l’abbé Roussel est obligé de lutter : « Il faut que le petit rapporte ! » Or, quand il est à la maison d’Auteuil, apprenant son catéchisme et faisant son apprentissage, « le petit ne rapporte pas. » Comment « rapporter? » En exerçant un de ces métiers interlopes où le gamin de Paris excelle, en enlevant le porte-monnaie des badauds, en allant voler chez l’épicier la bouteille d’eau-de-vie que son père voudrait boire sans la payer, et dont il aura sa part. Dans l’asile de la rue Lecourbe, chez les frères de Saint-Jean-de-Dieu, il faut parfois résister aux parens qui veulent reprendre leur enfant difforme, afin de l’envoyer mendier et de tirer parti de son infirmité. Avoir un enfant, le contraindre à quémander en pleurnichant dans les rues, lui imposer une redevance quotidienne, c’est, pour plus d’un parent, exercer une industrie. La plupart des petits mendians qui nous harcèlent au long des trottoirs sont des « soutiens de famille, » dans la poche desquels rien ne reste de ce qu’ils ont récolté. J’ai entendu le dialogue suivant, au cours d’un interrogatoire en police correctionnelle : « Quels sont vos moyens d’existence? — J’ai mon petit qui est bancroche; on lui donne sur le boulevard; il fait quelquefois de bonnes journées. »

A l’Orphelinat d’Auteuil, il est nécessaire de ne pas laisser sortir l’enfant que son père attend pour l’associer à ses méfaits, que la mère guette pour en faire un marmiton auquel elle apprendra à voler dans les cuisines, de la nourriture d’abord et bientôt après des couverts d’argenterie. Dans cette maison de si large hospitalité pour les enfans, il se passe le contraire de ce qui se produit dans les lycées et dans les pensionnats où sont élevés les fils de parens honnêtes. Là, dans ces grands instituts d’enseignement, le maître, — proviseur ou professeur, — est presque toujours certain, même lorsqu’il a tort, de trouver un appui dans la famille qui, par