Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aiguille, seront peut-être plus tard des « pompiers » recherchés par les coupeurs à la mode; dix menuisiers marchent au milieu des copeaux frisés : les plus jeunes rabotent le sapin, les plus âgés ont l’honneur de raboter le chêne; douze serruriers forgent, liment, assemblent les barreaux des lits en fer et font mouvoir la machine à tarauder. Le maître forgeron avait placé une barre rouge sur l’enclume; il la martelait et lui donnait la forme ; le petit compagnon, — celui que l’on appelle le souffleur ou le cachalot, — avait saisi son frappe-devant et à grands coups il battait le fer, qui lançait des étincelles; du revers de la manche il s’essuya le front, il était en sueur, et laissa glisser vers moi le regard orgueilleux d’un enfant qui a bien accompli une tâche au-dessus de ses forces. Quatre cuisiniers épluchent les carottes, pèlent les pommes de terre et surveillent les marmites. Si jamais ceux-là deviennent chefs de Brébant ou de l’hôtel du Louvre, j’en serais surpris, car l’éducation première ne les y aura pas destinés. Quatre mouleurs apprennent à modeler la terre glaise, à réparer les « coutures » et font preuve d’habileté dans la confection des statuettes de sainteté, qui, entre deux bouquets de fleurs, orneront l’autel des petites églises de village; ils sont peintres aussi et enluminent les Christs, les Vierges et les Saint Joseph, emblèmes visibles de croyances abstraites.

Le grand atelier de l’Orphelinat d’Auteuil est un établissement considérable. C’est une imprimerie, à laquelle sont annexés un atelier de fonderie de caractères et un atelier de brochure-reliure. Dans ces divers travaux, cent vingt-sept enfans sont occupés; « la composition » seule en réclame cinquante-cinq. Là tout est actif et silencieux; debout devant sa « casse, » la « copie » sous les yeux, le composteur en main, les petits typographes « lèvent la lettre; » le prote les surveille, il est à la fois leur maître et leur professeur. La besogne ne languit pas, et les presses, mises en mouvement par une machine à vapeur, sont servies avec régularité. Les enfans que j’ai regardés travailler ont déjà de l’adresse et de la rapidité dans le geste; commencé de si bonne heure, à treize ou quatorze ans, l’apprentissage sera fructueux; il initie celui qui le reçoit à toutes les finesses du métier et lui donne une agilité extraordinaire; aussi l’on peut assurer, dès à présent, que les ouvriers imprimeurs formés à l’école de l’abbé Roussel ne seront point en peine de gagner leur vie. Pour alimenter l’imprimerie et n’avoir jamais de chômage à subir, l’abbé Roussel a créé deux journaux, la France illustrée et l’Ami des enfans, qui, je n’ai pas besoin de le dire, ne font pas leurs frais, car on n’y parle que de moralité, de vertu, on n’y cite que de nobles exemples et on en écarte tout