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Sous ce rapport, les petits vagabonds qui ne s’étaient lavé les mains que dans le ruisseau, ont besoin, dès qu’ils sont entrés à l’orphelinat, de recevoir un supplément d’instruction. Le savon est un instrument scolaire dont il est sage d’abuser.

En gravissant les escaliers étroits, en traversant la cuisine, en jetant un coup d’œil aux dortoirs et aux classes, on comprend que l’abbé Roussel, condamné à l’économie forcée, n’a pas été maître de donner à la maison l’ampleur qu’il avait rêvée. Patience ! cela viendra; le développement d’une œuvre ne dépend pas de l’exiguïté de son berceau, elle dépend de son utilité, de son action secourable, du salut dont elle contient le germe qu’elle féconde. Or l’œuvre de l’abbé Roussel est indispensable et elle croîtra parce qu’elle s’impose comme une nécessité sociale. Qu’importe si la chapelle n’a rien de monumental? On y prie Dieu aussi bien qu’ailleurs. Qu’importe si le réfectoire est obscur, si la classe n’est chauffée que par un poêle en fonte? si l’infirmerie n’a pour préau qu’un toit en zinc? La maison n’en est pas moins hospitalière et féconde : depuis qu’elle existe, elle a recueilli, abrité, nourri, moralisé, dressé au travail plus de 6,000 enfans qui, sans elle, rôderaient aux barrières, ronfleraient sous la table des cabarets et peut-être habiteraient malgré eux Melun ou Clairvaux. C’est là le résultat qu’il faut admirer, sans se soucier s’il a été obtenu dans des maisons en pierres de taille ou sous des murs en torchis.

Le recrutement pour l’orphelinat se fait, en général, parmi les enfans qui ont atteint leur douzième année, car, à cette heure de la vie, ils ne doivent plus compter que sur eux-mêmes. Ceux que l’Assistance publique avait soutenus jusque-là en sont repoussés. « Tu as douze ans, tu t’appartiens; vis ou meurs, sois probe ou filou, cela ne me regarde plus. » Je n’exagère rien. En interprétant le décret du 19 janvier 1811 sur les « enfans trouvés, abandonnés, orphelins ou pauvres, » l’Assistance publique a inscrit l’article 19, qui est ainsi conçu : « Les enfans au-dessus de douze ans ne sont plus admis à la charge du budget départemental[1]. » L’abbé Roussel se substitue aux défaillances administratives; ceux dont la société ne veut plus, il les recherche, les trouve et les garde ; pour lui, il n’y a pas de limite d’âge, car il n’y a pas de

  1. Ceci n’est plus strictement vrai ; l’Assistance publique, que l’on ne saurait trop louer en cette circonstance, a rompu avec son ancien règlement. Depuis le 1er ’janvier 1881, elle a installé un nouveau service au profit des enfans moralement abandonnés; elle les recueille, entre douze ou seize ans, et les place soit à Villepreux, dans une école d’agriculture, soit à Montevrain (Seine-et-Marne), dans un atelier d’ébénisterie. Les résultats obtenus dans ces deux établissemens, créés à l’aide du budget départemental de la Seine, paraissent, jusqu’à présent, répondre aux prévisions les meilleures.