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point de courage et s’efforçait de vivre : il rôdait autour des marchés, portait le panier des cuisinières, ouvrait les portières des fiacres, ramassait des bouts de cigares, qu’il vendait, et parvenait, avec toute sorte de métiers improvisés, à gagner vingt ou vingt- cinq sous par jour. Le soir, il s’en allait aux environs des petits théâtres et, au dernier entracte, achetait une contremarque qui lui coûtait cinq sous. Il grimpait vers ces hautes régions que le langage populaire a surnommées le paradis, se glissait sous une banquette au moment de la sortie des spectateurs et y passait la nuit. A l’aube, il décampait et courait chercher provende aux environs du carreau des halles.

Un soir de pluie, qu’il n’avait pas mis en réserve ce qu’il appelait « son spectacle, » il pénétra dans une maison en construction et se coucha sur un tas de sacs de plâtre garantis par une bâche. Malgré le soin qu’il avait pris de se bien cacher, il se déplaça en dormant et découvrit un de ses pieds. Une ronde de police l’aperçut, l’arrêta et le fît conduire au dépôt près la préfecture de police. Le juge d’instruction fut touché du sort de cet enfant qu’un crime avait chassé de la maison paternelle et auquel, en somme, on n’avait rien de grave à reprocher. Au lieu de l’envoyer à la Peiite-Roquette, il le confia à l’abbé Roussel. Peut-être le changement fut-il trop brusque. L’écolier ne se pliait guère, la classe l’ennuyait, la vie vagabonde le sollicitait; cinq fois il s’évada et cinq fois il revint de lui-même. L’abbé Roussel lui disait : « Tu as bien fait de rentrer au bercail; tu verras que tu finiras par t’y accoutumer. « Il s’y accoutuma, en effet, et l’on put le croire sauvé. Il était intelligent, de vive allure et bien découplé. Un homme charitable, qui, je crois, est un des protecteurs de l’orphelinat, prit cet enfant à son service et en fit un groom. Sa conduite fut bonne et tellement régulière que toute défiance s’évanouit. Un jour que son maître lui avait donné un bijou de prix à porter chez un bijoutier, il disparut. La loi de l’hérédité a été, cette fois, plus forte que le bon vouloir de l’abbé Roussel. L’âme du père, endormie chez l’enfant, s’est réveillée chez le jeune homme et l’a poussé au vol. On ne l’a jamais revu; la police le saisira tôt ou tard et la prison se refermera sur lui. Si, dans ses courses, il a passé devant la maison de l’abbé Roussel, s’il a regardé la longue allée où il courait avec ses camarades, s’il a reconnu le clocher de la petite chapelle où il a communié, soyez certain que son cœur a battu et qu’il s’est sauvé en pleurant. Si criminel que soit un homme, le souvenir des heures innocentes ne le laisse jamais impassible; j’ai vu plus d’un assassin sangloter en parlant de son enfance.

Quelques enfans ont une raison extraordinaire et donnent des preuves de virilité que l’on n’aurait pas attendues de leur âge. Un