Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dette avec une énergie extraordinaire » par l’amortissement et retrouvant ainsi par degrés, en temps de paix, la liberté de leurs finances. Il avait voulu dès le premier moment, lui aussi, assurer au pays chargé d’un pesant fardeau cet avantage d’un amortissement énergique. « A toutes les époques, disait-il, les membres du gouvernement qui ont eu l’occasion d’exprimer leur pensée sur les finances ont déploré la négligence avec laquelle la plupart des gouvernemens antérieurs marchaient vers un accroissement continuel de la dette, en ne songeant en aucune façon à l’amoindrir dans le présent, pour la faire disparaître d’une manière certaine dans l’avenir... Pour ma part, j’ai été élevé à une école financière qui a toujours regardé comme une imprévoyance coupable de n’avoir pas un amortissement proportionné à la dette que l’on contracte, et je me suis dit que la France ne sortirait de la crise qu’elle traverse, honorablement, sagement, de manière à donner confiance dans son avenir, qu’en réorganisant d’abord ses finances... Réorganiser ses finances, cela veut dire créer un amortissement proportionné aux nouvelles dettes que ses malheurs lui ont fait contracter... — Oui, nous nous sommes dit que nous ne ferions pas assez si nous nous bornions à créer des ressources pour servir les intérêts des dettes que nous avons contractées et que nous allons contracter encore, mais qu’il fallait apporter à cette dette énorme un amortissement assez puissant pour être mis en parallèle avec cette dette sans être écrasé par la comparaison... » C’était, comme il le disait, la pensée qui présidait à son système financier, qui avait bientôt pour conséquence une situation où la prospérité pouvait renaître, à condition qu’on ne recommençât pas l’éternelle histoire des dettes imprévoyantes et des dépenses inutiles.

Une seule chose occupait M. Thiers autant que les finances dans cette réorganisation du pays sous la république, c’était l’armée, et là aussi il avait sa politique, ses vues nettes et précises qu’il soutenait de toute la force d’une parole puissante, d’une volonté obstinée. Il représentait l’expérience et la prévoyance dans ce travail de reconstitution militaire. Pour lui, le problème était aussi simple qu’impérieux. On voulait une armée, la France avait le droit de l’avoir pour garder la place qu’elle a toujours occupée dans le monde. Pour avoir une armée, il fallait des soldats, de vrais soldats ; pour avoir des soldats, il fallait le temps, l’habitude de la discipline, l’esprit militaire. Tout le reste, — le service obligatoire pour tous, le service de trois ans, le nombre, — n’était que chimère. Avec cela on n’aurait jamais une véritable armée, des cadres suffisans de sous-officiers, les vieux soldats nécessaires pour compléter les cadres. Il fallait savoir ce qu’on voulait! — Les idées qu’il avait soutenues au pouvoir, il les soutenait hors du pouvoir, il s’y attachait