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une victoire d’autant plus caractérisée que M. Buffet avait eu un concurrent appuyé par le gouvernement. On sentait l’approche de nouveaux conflits ; mais ce n’étaient là encore que des préliminaires, des signes avant-coureurs, et l’incident le plus grave, le plus décisif était, assurément, une élection par laquelle Paris se donnait le passe-temps de faire la leçon à Versailles, au président comme à l’assemblée, au risque de remettre tout en question et de renverser sur le coup un gouvernement.

Chope curieuse ! si entre tous les partis qui se disputaient la France, il y en avait un plus intéressé que les autres à ne rien brusquer, à éviter de créer des embarras au chef du pouvoir exécutif, à désarmer les défiances par la modération, c’était le parti républicain ; C’est de lui cependant que venait le coup qui allait tout bouleverser. On était au mois d’avril 1873, presque au lendemain du traité qui en finissait avec l’occupation étrangère. L’assemblée venait de prendre congé pour quelques semaines, du 8 avril au 19 mai, et dans l’intervalle Paris avait à nommer un député. Un candidat avait été adopté spontanément par une partie de la population parisienne et il ne pouvait certes être mieux choisi. C’était M. de Rémusat, qui venait d’être comme ministre des affaires étrangères le généreux complice du président dans la libération du territoire, qui représentait depuis dix-huit mois la diplomatie française avec une dignité simple, qui alliait enfin les sentimens du patriote, la fermeté du libéral, l’indépendance du caractère aux séductions de l’esprit. M. Thiers avait reçu avec sa vivacité naturelle, avec passion cette offre de candidature pour son ministre, un ami d’un demi-siècle qui partageait toutes ses idées et dont l’élection à Paris ne pouvait qu’être une force pour lui, un succès pour sa politique. On aurait pu croire que les républicains, ne fût-ce que par tactique, se seraient hâtés d’accepter des mains du chef du gouvernement un tel candidat. Point du tout ! les modérés du parti, il est vrai, sentant le danger d’une manifestation trop criante, se mettaient en campagne pour le ministre des affaires étrangères. Les violens, les radicaux trouvaient l’occasion merveilleuse pour relever leur drapeau à Paris, dans la ville toute pleine encore des ruines laissées par la commune. Ils allaient chercher un obscur candidat de démagogie, dont on ne savait rien, si ce n’est qu’il venait de passer à la faveur des événemens par la mairie de Lyon. Qu’était-ce que M. Barodet? Peu importait; ce nom inconnu, choisi comme un défi, avait pour ceux qui l’adoptaient la signification vague d’une protestation contre Versailles, d’une revendication crûment révolutionnaire. La lutte électorale, aussitôt engagée, s’animait d’autant plus que le président lui-même s’y jetait avec toute son impétuosité.

Qui aurait cru que, placé entre le ministre libéral, négociateur de