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eût hésité à placer sous la sauvegarde des plus sérieuses garanties la paix sociale, la paix religieuse, l’ordre financier et administratif, la réorganisation de l’armée! D’un commun accord on pouvait créer ces institutions dont on avait besoin, voter des lois de prévoyance et de protection, préparer le renouvellement des pouvoirs par les élections et assurer, pour bien des années peut-être, le règne des influences conservatrices. C’était possible si on l’avait bien voulu. Malheureusement tout ne marchait pas ainsi, et les partis monarchiques n’étaient rien moins que disposés à suivre le chef du pouvoir exécutif dans sa politique.

Ce n’est point sans doute que, même dans ce camp monarchique, M. Thiers n’eût des amis, des alliés sentant le prix de ses services, émus comme lui des difficultés d’une restauration et tout prêts à le seconder dans ses efforts, fût-ce en sacrifiant un peu de leurs espérances premières. Ces amis, ces alliés existaient. Ils tenaient à M. Thiers par les souvenirs, par la fibre constitutionnelle ; ils ne refusaient pas leur concours, et M. le duc d’Audiffret-Pasquier pouvait dire un jour avec autant de générosité libérale que de patriotisme : « Ne sortons pas de la forme actuelle, de la république,.. de la république au grand et bon sens du mot, — la chose publique gérée dans l’intérêt de tous, avec la trêve de tous les partis... Ne nous demandez ni le reniement du passé ni un acte de foi qui nous ferme l’avenir, et résolument, loyalement nous soutiendrons l’état actuel... » On paraissait parfois bien près de s’entendre; mais les conservateurs libéraux, les modérés constitutionnels avaient eux-mêmes leurs embarras dans leur propre armée, dans cette armée royaliste dont ils ne voulaient pas se séparer, qui gardait ses passions et ses illusions. D’une manière générale, on peut dire que les monarchistes de l’assemblée s’étaient rapidement aigris ou refroidis à l’égard de M. Thiers. Ils avaient trop attendu de lui, ils avaient cru en le choisissant déléguer au pouvoir un restaurateur du trône ; ils n’avaient pas compris ou ils avaient trop complaisamment interprété les premiers actes, les premières paroles du chef du gouvernement, et comme la réalité ne ressemblait pas à leurs rêves, ils se sentaient déçus. Ils ne voulaient pas reconnaître que la première cause de leurs mécomptes était dans leurs divisions, dans leurs passions, dans les excès naïfs des programmes royaux, et ils attribuaient tout le mal à M. Thiers. Ils lui reprochaient de les avoir abusés, d’avoir seul empêché et d’empêcher seul encore la monarchie par ambition de pouvoir; ils l’accusaient de favoriser les républicains, de trahir les intérêts conservateurs. Toutes les fois que M. Thiers se hasardait à dire que la république était après tout un fait, qu’on lui avait confié cette forme de gouvernement, dont sa loyauté avait à rendre compte, c’était assez