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A peine apaisé dans les affaires de finances, le conflit menaçait de renaître dans les affaires militaires, qui ne touchaient pas moins le cœur du pays et n’avaient pas moins d’importance dans les délibérations des pouvoirs publics. Après les cruels désastres qu’on venait d’essuyer, une des premières pensées avait été de rechercher les causes d’une chute si soudaine, si profonde, et les moyens de reconstituer la défense nationale. C’était affaire de nécessité autant que de patriotisme. Tous les partis se confondaient dans les mêmes sentimens et se montraient également impatiens de remanier les institutions militaires réputées insuffisantes, de réformer la loi de 1868 aussi bien que la loi de 1832, de relever la puissance de la France en même temps qu’on essayait de relever son crédit ; on se laissait aller facilement surtout à prendre pour modèle l’Allemagne nouvelle, qui venait d’attester sa force contre nous, comme au dernier siècle, après Rosbach, on avait imité la Prusse victorieuse. On voulait le service obligatoire pour tous et réduit dans sa durée à trois ans, la nation tout entière passant sous le drapeau, l’organisation à l’allemande, les répartitions régionales. On avait la fièvre des réformes.

L’assemblée de Versailles, cette assemblée qui avait toutes les bonnes intentions et qui était certainement sincère, représentait avec une singulière fidélité tous ces sentimens, ces idées, ces impatiences, ces velléités plus patriotiques et plus généreuses que précises. Dès qu’elle avait pu se reconnaître, elle avait nommé une grande commission, composée des hommes les plus éminens, chargée de préparer une complète réorganisation militaire, et, après un travail de quelques mois, un premier rapport, œuvre savante de M. de Chasseloup-Laubat, traçait les conditions nouvelles de recrutement telles qu’elles ont passé dans la loi de 1872, qui existe encore. M. Thiers n’avait certes pas moins que les réformateurs de l’assemblée la passion de refaire une France militaire. Il n’avait même pas attendu les excitations de l’opinion ou du parlement pour s’occuper de rassembler les élémens dispersés de l’ancienne armée, de rallier chefs et soldats ; il en avait besoin dans sa campagne contre la commune. Il mettait son honneur et son infatigable activité à recomposer ces vieux régimens éprouvés par la défaite, à relever leur moral, à préparer les cadres d’une armée nouvelle. Il faisait ce qu’il pouvait dans la mesure où il le pouvait, au milieu de difficultés de toute sorte, et il ne négligeait rien, d’un autre côté, pour accoutumer l’Europe, l’Allemagne à voir la France tenter un grand effort de réorganisation militaire. Il ne cessait de répéter, dans ses entretiens diplomatiques comme dans ses discours, que la France ne songeait qu’à la paix, qu’elle devait songer aussi à reconstituer ses forces pour garder sa place dans le monde. Ceci,