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maires dans toutes les communes, dans les plus grandes villes aussi bien que dans les plus petits hameaux, M. Thiers se trouvait absent. A peine arrivé et informé de ce qui venait de se passer, il se précipitait plein d’émotion à la tribune pour demander ni plus ni moins à l’assemblée de revenir sur son vote, et, comme on murmurait à ses premières paroles, il répliquait avec véhémence : « Vous pouvez murmurer si vous le voulez ; mais, pour comprendre ce que j’éprouve, il faudrait que vous voulussiez bien vous mettre dans notre position. Comment! vous nous demandez, — et vous êtes sincères, j’en suis convaincu, — vous nous demandez de maintenir l’ordre et en même temps vous nous en ôtez les moyens?.. J’apprécie les lumières des grandes villes et je leur rends toute justice; mais vous n’ignorez pas que le parti démagogique y est puissant, et dans les villes où il compte un nombre suffisant d’adhérens, il finit par l’emporter, grâce à son audace... Et c’est dans de telles circonstances que l’on vient demander de remettre au hasard de l’élection le gouvernement des grandes villes! Je dois le dire, c’est inacceptable. J’ai trop à cœur l’intérêt de mon pays et l’accomplissement de la mission accablante dont vous m’avez chargé pour hésiter à déclarer nettement que, si l’article que vous venez de voter n’était pas amendé, je ne pourrais pas conserver le fardeau du pouvoir. Je vous en supplie, pas d’inconséquences. Il ne faut pas avoir des désirs dans un sens et des votes dans un autre sens. Oui ou non, voulez-vous l’ordre? Toute la question est là... » L’homme de gouvernement, l’homme de l’unité nationale, d’une forte centralisation perçait dans ce langage si opposé à celui des politiques qui croyaient pouvoir se laisser aller à leurs goûts de décentralisateurs. C’était la première fois que M. Thiers se servait résolument de ce moyen périlleux d’une menace de démission, et ce n’était pas la dernière fois.


II.

La lutte se compliquait singulièrement, en effet, et elle prenait même par instans plus de gravité à mesure qu’on abordait la partie pratique, positive de la réorganisation du pays : les affaires de finances et la réforme militaire. — Suffire à l’effroyable rançon de guerre, aux frais d’une lourde occupation, aux déficits accumulés de 1870-1871 aussi bien qu’à la réparation de toutes les ruines, — établir un budget dans ces conditions et, pour subvenir à tout, trouver une somme d’impôts nouveaux qui allait s’élever par degrés à près de 750 millions, c’était certes un problème hérissé de difficultés. Tout le monde avait la volonté de faire honneur aux obligations