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les gardes nationales, mais il entendait agir en chef de gouvernement, choisissant son heure, chargé de la responsabilité de l’ordre. « Je ne peux pas, disait-il, me laisser imposer le jour, le moment. Si j’avais cette faiblesse, vous devriez douter de la force que j’aurais pour réprimer le désordre quand il aurait éclaté... Si j’étais un homme faible, je me ferais votre flatteur. Quand je crois que vous vous trompez, mon devoir est de vous le dire. Si vous ne voulez pas qu’on vous le dise, c’est votre droit, et, quant à moi, je cesserais bientôt de vous le dire si vous vouliez être absolus... »

Tout devenait occasion de lutte, si bien qu’avant quelques mois, on pouvait faire en plein parlement cet aveu aussi inquiétant que singulier : « Sur toutes les questions de gouvernement, un désaccord profond a éclaté entre le chef du pouvoir exécutif et la majorité de cette assemblée. » Le désaccord était, en effet, aussi vif que profond ; il était, il allait devenir particulièrement sérieux dans les questions qui touchaient à la réorganisation administrative, financière, militaire, cette première partie du programme accepté à Bordeaux, réalisé à Versailles. C’était, à vrai dire, le conflit organisé de deux politiques. Chose curieuse! cette assemblée aux instincts profondément conservateurs avait un tempérament assez compliqué. Elle se dévouait à sa tâche laborieuse et difficile avec une évidente bonne foi. Elle se montrait disposée à toutes les réformes, à toutes les tentatives, à toutes les expériences. Par un mouvement de réaction contre les abus de l’empire, elle se serait laissée aller volontiers à désarmer le gouvernement de ses prérogatives les plus nécessaires. Elle avait le goût des libertés locales, de la décentralisation. Elle avait commencé par voter une loi municipale qui donnait aux conseils locaux le droit de nommer les maires de toutes les communes. C’est elle qui votait bientôt la loi sur les conseils généraux qui existe encore, qui a créé des garanties nouvelles contre la prépotence administrative, les commissions permanentes auprès des préfets. Un peu plus tard, elle allait jusqu’à donner au conseil d’état reconstitué une origine élective; elle agissait ainsi, il est vrai, par une tactique de majorité jalouse, dans l’intérêt de son omnipotence et un peu aussi par un sentiment de défiance à l’égard du gouvernement. M. Thiers avait de la peine à se contenir devant ce zèle de réformation universelle qui inquiétait son expérience, qui le troublait dans ses plus anciennes et ses plus chères idées. Il n’entendait pas notamment laisser désarmer l’administration, l’état dans un moment où la commune tenait encore la puissance publique en échec, où le préfet d’une des villes les plus populeuses venait d’être massacré, où l’agitation était partout.

Le jour du mois d’avril 1871, où l’assemblée, par une sorte d’émulation de libéralisme entre les partis, votait l’élection des