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la signer. » Il avait fait ce que personne n’aurait osé ou n’aurait pu faire à sa place, ce qui glaçait tous les cœurs rien que d’y penser. Il avait compris aussi que, la paix une fois signée, il fallait la réaliser jusqu’au bout, jusqu’à la libération des provinces occupées par l’ennemi, et que, si à un pareil moment on se divisait, si on entrait en conflit pour le choix d’un régime définitif, monarchie ou république, c’en était fait peut-être de ce qui restait de la France ; la guerre intestine, la guerre des partis pouvait achever la ruine commencée par la guerre étrangère. De là cette politique qui avait pris dès le premier jour le nom de « pacte de Bordeaux » et qui se résumait en quelques mots : rendre la vie au grand blessé, délivrer, réorganiser le pays à la faveur d’une sorte de concordat du patriotisme, en réservant à la France pacifiée, représentée par une assemblée souveraine, le droit de décider à l’heure voulue de ses destinées. C’était le programme de la sagesse pratique, sorti, pour ainsi dire, instantanément d’une situation qui rappelait la grande crise de 1815, qui en différait aussi singulièrement, — qui en était surtout la douloureuse aggravation.

Le renouvellement des mêmes catastrophes ramenait les mêmes problèmes pour la France livrée encore une fois à la double épreuve d’une guerre désastreuse et d’une révolution intérieure; mais en 1815, le dénoûment naissait en quelque sorte des circonstances plus fortes que les volontés. Tout semblait concourir à une restauration qui devait à de prodigieux événemens je ne sais quoi de mystérieux et d’irrésistible. L’empire, après s’être personnifié dans un chef de génie et s’être élevé par la victoire, périssait par la défaite. La république, après un règne sanglant et éphémère tranché par l’épée de brumaire, avait presque disparu de la mémoire des hommes ou n’avait laissé que des impressions sinistres. Les partis, réduits depuis longtemps au silence, existaient à peine. La monarchie avait pour elle la nécessité, l’impossibilité de toutes les autres combinaisons, le prestige d’une tradition renouée dans le malheur, la faveur de l’Europe, l’avantage de se confondre avec la paix désirée par la France. Elle était ramenée de l’exil par la puissance des choses bien plus que par le vote d’un sénat avili, et M. de Talleyrand, l’habile négociateur de la transition, pouvait dire qu’à défaut de l’empire désormais impossible, les Bourbons seuls étaient une solution, que tout le reste ne serait que convulsion ou intrigue. En 1871, c’était bien sans doute encore l’invasion accompagnée de la chute d’un empire; ce n’était plus la même situation dans une société vieillie de plus d’un demi-siècle d’expériences et de révolutions successives, dévorée de contradictions intimes et de divisions, partagée entre les souvenirs, les intérêts et les clientèles de quatre ou cinq régime tour à tour vaincus ou vainqueurs. C’était comme une autre