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en 1643, mais en 1647, ni pour laisser le prince qu’elle aimait tout à ses devoirs envers l’état, mais parce qu’après Nordlingen, en 1645, on avait appris à la fois, selon le dire de Mademoiselle, que le prince « était guéri de sa fièvre et d’une forte passion qu’il nourrissait depuis plusieurs années pour Mlle du Vigean. »

Hé ! qu’importent ces chicanes ? Avec une page de Tallemant, une page de Mme de Motteville, deux pages de Mademoiselle, quelques feuillets tournés de la Jeunesse de Mme de Longueville et de l’Histoire de la société française au XVIIe siècle d’après le Grand Cyrus, nous en savons autant sur Mlle du Vigean que le plus rigoureux historien du monde. Sur le vainqueur de Rocroy, après les Mémoires de Lenet, de Coligny et de la duchesse de Nemours, fallait-il un surcroit d’instruction ? M. Cousin regrettait que Napoléon n’eût pas étudié les guerres de Condé comme celles de Turenne et de Frédéric ; les lecteurs de la Revue savent qu’aujourd’hui le regret de M. Cousin serait adouci : ni la Première Campagne de Condé, ni le caractère de Condé, à cette époque, n’ont plus de secrets pour nous. Sur l’héroïne comme sur le héros de Mlle Arnaud, nous sommes assez sûrs de notre science pour faire bon marché des vétilles ; nous avons droit, sans être suspects d’ignorance, d’octroyer à l’auteur des libertés nécessaires. Qu’importe si Mlle Arnaud appelle son héros Condé trois années et demie avant qu’il ait le droit de porter ce nom ? « Richelieu, écrit M. le duc d’Aumale, trouva deux hommes, Henri de La Tour d’Auvergne et Louis de Bourbon, duc d’Anguien : l’histoire a dit Turenne et Condé. » Le poète dit comme l’histoire, et le poète dit bien. Qu’importe s’il appelle son héroïne Élise au lieu de Marthe ? C’est que peut-être il trouve Élise plus harmonieux ; nous n’avons pas une telle habitude d’appeler Mlle du Vigean par son petit nom, que ce changement puisse nous gêner. Qu’importe si Condé se donne pour célibataire sur la scène ? Faut-il dans la salle nous rappeler sa femme, Marie-Clémence de Maillé-Brézé, plus que lui-même ne se la rappela dans tout le cours de sa vie ? Qu’importe s’il ne revint pas à Paris après Rocroy pour voir Mlle du Vigean ? Il aurait pu revenir, et son dernier historien témoigne qu’au lendemain de la victoire, il reçut un message de félicitations précieux entre tous, sa mère et sa sœur passant la plume « aux aimables personnes qui les entourent : » à leurs signatures se joignent celles de Julie d’Angennes, de Louise de Crussol, de Marie de Loménie, de Mlle de Boutteville,.. et de Mlle du Vigean. Qu’importe si l’auteur restreint l’intervalle entre Rocroy et Fribourg ? Je ne me sens pas écrasé entre les deux ; je pardonne cette licence, — pourvu qu’elle serve au drame, — comme de mettre en 1643 sur la table de Mme de Rambouillet le Grand Cyrus, qui ne parut qu’en 1650, et la Carte de Tendre, qui ne fut connue, avec Clélien qu’en 1656, — pour peu que l’un et l’autre contribuent à l’ornement de l’ouvrage.