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de Bossuet. Il a sur l’orateur sacré cet avantage qu’il est militaire : il fait voir plus clairement que lui cette manœuvre improvisée qui décida de la journée et fut la plus glorieuse des trouvailles, ou, pour parler comme le panégyriste des « illuminations » de Condé. Nous l’attendions, cependant, au fameux morceau : « Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne. » Comment ce guerrier, qui paraît sur la scène de la Comédie-Française en 1883, qui ne peut ignorer que ce morceau résonne dans toutes nos mémoires, évitera-t-il de répéter les propres paroles de l’orateur ou les remplacera-t-il par une paraphrase qui ne paraisse pas trop misérable ? Eh bien ! il faut le reconnaître, La Moussaye se tire de ce mauvais pas à l’honneur de Mlle Arnaud. Avec la voix chaude de M. Baillet, il jette ce morceau de bravoure :

Quand on voudra, messieurs, de cette infanterie,
Raconter un exploit qui passe ses exploits,
On dira que Condé dut la charger trois fois…
On ne vit point fléchir la vivante muraille ;
Il fallut la saper à grands coups de mitraille :
Les derniers résistaient, un à un, corps à corps…
Si nous sommes vainqueurs, messieurs, c’est qu’ils sont morts !


Cependant, sur les pas de La Moussaye, voici Condé lui-même : il est tout blond, tout rose et tout frais dans son justaucorps blanc. Ce n’est pas Condé tel que nous nous attendions à le voir, tel qu’il apparut à Bussy-Rabutîn, au siège de Mardick, comme échappé « d’un de ces tableaux où le peintre a fait un effort d’imagination pour bien représenter un Mars dans la chaleur du combat ; » ce n’est pas ce jeune Bourbon à tête d’aigle que nous ont fait connaître les gravures et les mémoires : maigre, noir de peau, les cheveux foisonnans et frisés, les yeux vifs, le nez arqué, la bouche grande, mais, à tout prendre, » comme dit Mademoiselle, avec « cet air relevé » qui sied bien mieux à un homme que la « délicatesse des traits. » Celui-ci, que voulez-vous ? c’est M. Delaunay qui s’est ajusté de la façon la plus aimable pour faire honneur au prince qu’il représente dans cette cérémonie d’un à-propos. Ce n’est pas l’aigle qui s’est enlevé du champ de bataille, fond vers nous à tire-d’aile et s’abat, les plumes hérissées, noir de poudre et souillé de sang ; c’est un pigeon blanc qui se rengorge et va roucouler pour sa belle. Soit ! nous nous rappelons que, si le duc d’Enghien avait été formé par son père pour être-chef d’armée, il avait été élevé par sa mère dans un petit cercle de beautés polies. D’ailleurs, c’est ici, comme dit La Moussaye en un joli vers :

Un guerrier de vingt ans, vainqueur au mois de mai !


Laissons-le s’épanouir aux premiers feux de sa gloire ; laissons-le demeurer seul avec Élise, se pencher vers elle et lui dire en souriant :