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dit Félicien David. — Une loge, répond celui-ci, c’est trop cher pour ma bourse, et je suis à mon grand regret forcé de me contenter d’une stalle. — Mais il ne s’agit pas de bourse, réplique alors l’infortuné compositeur. Si je vous offre cette loge, croyez-vous donc que ce soit pour vous la faire payer ? J’ai besoin de remplir ma salle et surtout d’être écouté par des gens intelligens. » Et il se mit en devoir de fouiller dans une de ses poches dont il ne parvenait pas à tirer un énorme paquet. « Bonté divine ! que pouvez-vous avoir dans cette poche ? — Mon bureau de location, » répondit Félicien David avec un sourire triste et doux.

Affreuse période de misère, noblement traversée, sans révoltes à la Berlioz, ni cris de paon, et que la matinée du 8 décembre 1844 vint à la fois clore et venger. Tout le monde aujourd’hui connaît cette description du silence dans l’immensité qui sert d’introduction à la symphonie du Désert. Dès les premières mesures, on pressentit l’œuvre d’un maître ; presque aussitôt la marche de la caravane enleva les applaudissemens, qui se changèrent en acclamations pendant la danse des almées, et quand le tableau du soleil levant se déploya, l’enthousiasme devint du délire. Rien ne nous serait plus facile que de remettre en cause cette musique, sans doute un peu démodée, quoiqu’elle se défende encore et que nous la voyions chaque hiver faire assez bonne contenance chez Colonne et chez Pasdeloup ; mais ces sortes de discussions ne convertissent personne, et c’est d’ailleurs un sot métier que de vouloir prouver aux gens qu’ils ont tort d’aimer ce qu’ils aiment. A la critique de dénigrement du passé au profit de l’heure présente, mieux vaudrait en opposer une autre, plus généreuse et plus féconde, celle qui révise et qui relève.

Au Désert succéda l’ode-symphonie de Christophe Colomb, conception inclinant davantage vers le théâtre. Tout musicien a cet objectif ; Félicien David n’y faillit point : préludant par un intermède dramatique qui devait être représenté sur la scène d’un jardin public qu’on appelait le château des Fleurs, — quelque chose dans le genre de l’Éden-Théâtre d’aujourd’hui, la pièce elle-même était intitulée : l’Éden, — mais l’entreprise tourna mal ; le château des Fleurs s’écroula et l’Eden disparut sous ses ruines.

En 1850, la Perle du Brésil fut présentée à M. Perrin, qui la reçut et ne la joua pas, ce qui le distingue une fois de plus de M. Carvalho, qui ne l’avait jamais reçue et la joue. Le temporisateur éternel et l’homme de toutes les initiatives, quelqu’un qui s’amuserait à rapprocher ces deux types de directeurs trouverait peut-être dans cette idée le sujet d’une glose digne de former le pendant du chapitre sur l’art spagirique de la mise en scène. M. Carvalho, lui, ne sommeille pas ; sa troupe ressemble aux remparts de Bossuet qui réparent leurs