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Justin, présentant une apologie écrite de la nouvelle religion à l’empereur, au sénat, et à la conscience publique, connaît cette prétendue discipline du secret, l’observe et en est entravé dans l’exposition de ses croyances ? Les autres apologistes ne sont-ils plus que lui ? Les martyrs, dans leurs confessions, ont-ils les lèvres avares ? Polycarpe, à Smyrne, en 155, ne propose-t-il pas au proconsul d’Asie de prendre jour avec lui et de lui rendre compte de sa foi ? Dans une pièce semblable, datée de l’an 180, un fidèle interrogé ne dit-il pas au proconsul d’Afrique en séance publique : « Si tu veux m’écouter patiemment, je te révélerai le mystère de la douceur capétienne ? » Au milieu du IIIe siècle, dans la persécution de Trajan-Dèce, plusieurs fidèles interrogés se font-ils scrupule d’exposer la théologie nouvelle au point d’en fatiguer leurs juges ? Si les dogmes et les rites chrétiens sont tout entiers dans l’évangile, comme on le dit couramment, à quoi servait un secret dont la clé était dans les mains de tous ceux qui voulaient le connaître ? Comprend-on aisément qu’une société religieuse qui, comme Tertullien l’atteste, se recrutait presque uniquement par les conversions, c’est-à-dire par la propagande et la libre communication des idées, eût imposé à chacun de ses membres de se taire et de ne livrer à personne de dépôt de ses dogmes et de ses cérémonies ? Les termes de mystères ou d’initiés dont se servent plusieurs écrivains ecclésiastiques pour désigner les dogmes et les rites de ceux qui les croyaient et les pratiquaient ne sont que des mots empruntés à la langue philosophique et au vocabulaire païen, dont on ne saurait rien conclure. En un sens, le christianisme, jusqu’aux premières années du IVe siècle, jusqu’à l’édit de Milan (313), fut une religion secrète, c’est-à-dire non autorisée et illicite. Ce qui est défendu ne peut se propager que subrepticement. Aussi peut-on dire que, jusqu’à Constantin, le christianisme ne jouit pas du grand air de la pleine publicité, n’eut ni temples ni sanctuaires à ciel ouvert et que des fidèles furent d’ordinaire obligés de prendre des précautions de toute espèce pour leurs réunions et la célébration de leur culte, afin de ménager une opinion souvent hostile et de ne point provoquer les rigueurs de l’autorité. Encore ne faut-il point s’exagérer le secret dans lequel le christianisme s’enveloppa. Il eut, au commencement, des tombeaux au soleil. L’entrée du cimetière de Domitilla était aussi visible que le monument de Cécilia Metella. À la fin du IIe siècle, il posséda une nécropole à titre collectif. Sous Alexandre Sévère, vers 230, les chrétiens osèrent revendiquer juridiquement, contre une corporation autorisée, un emplacement dans Rome même pour y tenir leurs assemblées et y pratiquer leur culte. Vers 237 ou 240, le chef de la communauté