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comme en Occident. Sous les noms de Javan chez les Hébreux, de Iouna ou Iaouna chez les Perses, de Ouinin chez les Égyptiens, l’Ionien marque sa place dans le monde ancien dès un âge très antérieur à l’histoire grecque proprement dite. En Grèce, sa force de diffusion se fit sentir, non par une grande migration qui ait pu laisser sa trace dans le souvenir des peuples, mais par une série de déplacemens successifs. Comme il convenait à des navigateurs, les Ioniens abordèrent par petits groupes, et ces groupes se confondirent avec la population du pays qui les accueillait, mais la transformèrent en y introduisant leur esprit mobile et actif. C’est ainsi qu’ils se mêlaient en Attique au fonds primitif formé par les Pélasges. C’est ainsi que, de bonne heure, ils apportèrent en Grèce un des deux grands facteurs de l’hellénisme, et même le principal.

L’autre, on le sait, c’est l’élément dorien. L’importance de celui-là n’était pas à prouver. Depuis longtemps, surtout depuis les travaux d’Ottfried Müller, le maître de M. Curtius, on était habitué à regarder le Dorien comme le type le plus sincère et le plus pur de l’Hellène. Parmi les tribus qui étaient descendues des montagnes du nord, les tribus doriennes étaient celles qui en avaient le plus brillamment montré, par la conquête, la noblesse et l’énergie. À partir de leur grande invasion, le pays n’a plus été habité par des Pélasges plus ou moins mélangés, mais par des Hellènes ; c’est d’eux que date la Grèce. Cependant, en réalité, laquelle des deux races répond le mieux par son caractère aux conditions et aux destinées naturelles d’une contrée si remarquablement maritime ? N’est-ce pas plutôt l’Ionien, navigateur, actif, aventureux, tenant toujours en éveil les facultés les plus vives et les plus brillantes de sa souple nature ? Qu’est-ce que le génie grec, sinon le mouvement et l’éclat dans la vie et dans la pensée ? La poésie, les arts, l’éloquence, la philosophie, l’instinct de liberté qui les inspire et leur donne l’élan : voilà par où la Grèce s’est révélée. Il manque, il est vrai, à cette définition un trait essentiel : le caractère grec est le résultat du sentiment de l’harmonie pour le moins autant que de l’inspiration. Mais le Dorien, avec son goût pour la stabilité et pour la règle, n’a pas plus contribué à développer ce sentiment que l’Ionien par sa délicatesse et sa vive sensibilité. En tout cas, le mouvement de la civilisation, de l’industrie et du commerce, de toutes les applications de l’intelligence, est venu de celui-ci. Et si de là on passe dans le domaine politique, on reconnaîtra que cet ensemble particulier de qualités et de défauts, de succès et de revers qui appartient en propre à l’histoire grecque et paraît surtout dans les crises principales, semble en rapport plus étroit avec l’esprit ionien. Il faut donc rendre aux Ioniens leur place dans la constitution de la Grèce et dans la suite de ses destinées. Il faut dès l’origine admettre l’existence d’un dua-