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questions sans toucher en même temps aux lois qui régissent les conditions de la propriété et la répartition des impôts, comme la révision de ces lois doit, en Angleterre plus qu’ailleurs, s’attaquer à de vieilles coutumes et à des abus séculaires, les intérêts lésés ou seulement inquiétés par la réforme ont poussé les hauts cris en signalant l’invasion des doctrines du socialisme révolutionnaire. Cobden serait ainsi dénoncé comme matérialiste et comme socialiste. Ce double reproche ne nous paraît point fondé. L’amélioration du bien-être matériel est destinée, suivant le programme, à faciliter le perfectionnement moral. Il faut d’abord que le peuple vive, le progrès moral s’ensuivra : Primo vivere, deinde philosophari. Sans doute, l’antériorité donnée aux appétits aurait le tort, si elle était absolue, de méconnaître l’influence que la santé morale et intellectuelle exerce sur le bien-être physique et il convient de proclamer pour l’honneur de la race et d’inscrire dans les lois l’action réciproque de l’esprit sur la matière. Sur ce point, Cobden est tout à fait orthodoxe ; car nous l’avons vu constamment préoccupé de l’instruction populaire, de toutes les institutions propres à éclairer et à élever l’âme du peuple. Il se plaignait même de ce que les classes moyennes, qui avaient les premières profité des réformes économiques et qui venaient de conquérir la richesse, ne se fussent pas moralement améliorées en proportion de l’accroissement du bien-être dont elles commençaient à jouir. L’accusation de matérialisme ne saurait donc atteindre Cobden ni son école.

Quant à l’accusation de socialisme, elle tombe également, si l’on donne à ce terme de la langue politique le sens redoutable que les contemporains lui attribuent. Cobden, homme de discussion, parlant, prêchant sans cesse, était aussi opposé que possible aux procédés révolutionnaires. Il ne voulut pas au temps de la ligue faire cause commune avec les chartistes ; en 1863, il se considéra comme offensé par le Tunes et il eut avec ce journal une correspondance très vive à propos d’un article qui le représentait, ainsi que M. Bright, comme un partageux. Il s’agissait de la réforme des lois foncières et du régime des successions. Par un mode de polémique qui n’est que trop usité, le Times avait dénaturé les idées et le langage de M. Bright afin de déconsidérer plus facilement un plan de réforme qui menaçait des intérêts puissans. Avec l’épithète de socialiste jetée à la tête de quiconque veut améliorer l’état social, les intéressés ou les aveugles qui défendent à outrance l’ancien régime s’imaginent avoir cause gagnée. C’est une erreur et c’est une faute. Nous vivons à une époque de changemens et d’évolutions en toutes choses. De nouveaux intérêts apparaissent, de jeunes ambitions se