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peuvent y applaudir sans qu’il leur soit nécessaire d’attribuer à l’influence de leur doctrine le mérite de cette évolution. Quant aux protectionnistes, le traité, en épargnant aux capitaux et au travail les désastres d’une grande guerre, les a plus efficacement garantis que ne l’eût fait le maintien de la prohibition, il les a même sauvés en 1860 sans les compromettre pour l’avenir : car n’oublions pas qu’il substituait à la prohibition un tarif de 20 à 30 pour 100 !

Il est vrai que, sur ce dernier point, le traité de 1860 était à compléter par la fixation des droits spécifiques pour la plupart des marchandises énumérées dans l’acte ; œuvre ardue et délicate qui exigea de longues conférences et une enquête approfondie. Cobden, qui aurait pu en laisser le soin à des fonctionnaires spéciaux, s’y dévoua tout entier en acceptant de présider la commission anglaise qui fut chargée de régler à Paris, avec les commissaires français, les chiffres et les détails des nouveaux tarifs. Les extraits de sa correspondance révèlent les difficultés de toute nature qu’il eut à surmonter pour achever ce travail, qui faillit même être compromis tantôt par l’inertie, tantôt par les exigences inopportunes du foreign-office. Ce qui était plus grave encore, c’était la situation fausse dans laquelle le plaçaient à Paris l’attitude et le langage du ministère anglais devant le parlement. Cobden avait donné l’assurance que le traité de commerce rétablirait l’entente cordiale et mettrait fin à la politique de défiance qui se manifestait en Angleterre par d’incessantes demandes de crédit pour les arméniens. L’empereur n’avait consenti au traité que sur la foi de cette promesse. Et cependant lord Palmerston ne désarmait pas, il continuait à solliciter crédits sur crédits et il motivait ses demandes sur la nécessité de tenir l’Angleterre en garde contre les entreprises « d’un puissant voisin. » Cobden, lisant à Paris les discours et les votes de la chambre des communes, était exaspéré. Il savait que les craintes exprimées par lord Palmerston n’étaient point fondées, il voyait la déception presque indignée que tous ces discours produisaient aux Tuileries, il craignait que son traité, à peine signé, ne devînt d’un jour à l’autre lettre morte, et, personnellement, il éprouvait une véritable mortification à la pensée que son autorité de plénipotentiaire, sa loyauté même, risquait d’être suspectée. Il y a de lui, sur ce sujet qu’il avait tant à cœur, plusieurs lettres qui font le plus grand honneur à son caractère. Nous les recommandons aux historiens qui écriront à l’heure impartiale le récit de cette période. La paix entre la France et l’Angleterre a couru, en 1860, de très sérieux périls, conjurés par la modération du gouvernement français et par l’intervention de Cobden. Cela ressort, avec toute évidence, des documens reproduits