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soin des négociations officielles, et le ministre des finances, M. Magne, qui, au point de vue fiscal, devait nécessairement avoir sa voix au chapitre. Cobden eut à entreprendre la conversion de M. Walewski, comme il avait entrepris celle de M. Fould. Le 21 décembre, il eut une nouvelle audience de l’empereur, qu’il trouva fort perplexe et sous l’impression des objections faites par M. Magne. Celui-ci montra dans la défense du régime prohibitif la férocité qui le distinguait dans la défense de ses budgets. D’après lui, chaque kilogramme de marchandise anglaise importée en France diminuerait d’autant le travail national, et l’industriel et l’ouvrier français perdraient tout ce que gagneraient l’industriel et l’ouvrier anglais. Cet argument avait, plus que tout autre, ébranlé la décision de l’empereur. Il fallut que Cobden recommençât un cours d’économie politique pour convaincre celui qu’il appelait son élève des avantages que procurerait à la masse des consommateurs et à la classe ouvrière le développement des échanges avec les pays étrangers. « On m’a affirmé, disait l’empereur, que les ouvriers français sont plus heureux que les ouvriers anglais et que le free-trade rendrait moins bonne la condition de nos ouvriers. » Cobden lui répondit : « La journée de travail est de 20 pour 100 plus longue en France qu’en Angleterre, le salaire est de 20 pour 100 moins élevé, la dépense du vêtement pour les ouvriers y est de 10 pour 100 plus forte, » et il s’engagea à soutenir sen dire envers et contre tous, y compris M. Magne.

A M. Magne s’était joint, comme opposant, M. Billault, ministre de l’intérieur, qui, en cette qualité, craignait de voir éclater des troubles à Rouen, à Lille, dans les principaux centres industriels, où les ouvriers seraient probablement disposés à obéir, en pareille matière, aux excitations de leurs patrons. Enfin M. Troplong, président du sénat, vint à la dernière heure appuyer les objections de M. Magne et de M. Billault, en déclarant qu’une décision aussi grave, soustraite à l’examen préalable des pouvoirs législatifs, produirait une fâcheuse impression sur la grande majorité des sénateurs. Bref, il n’y avait auprès de l’empereur, pour conseiller le traité, que le prince Napoléon, M. Bouher et M. Baroche. M. Fould se montrait fort tiède. M. Magne, M. Billault et M. Troplong persistaient dans leur opposition. Un moment il fut question de consulter le corps législatif ; la perspective d’un échec certain fit écarter la proposition. M. Magne et M. Troplong insistèrent pour qu’il fût au moins procédé à une enquête sommaire avant la levée des prohibitions ; « l’empereur, disaient-ils, s’y était engagé. » Plusieurs industriels notables, M. Schneider, du Creuzot, M. Feray, d’Essonne, etc., furent entendus, plutôt que consultés, dans une courte audience. L’empereur avait, non sans de longues hésitations, pris son parti. La