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soutenu par la popularité que lui faisait au dehors son rôle dans la ligue, put développer avec plus d’autorité et avec quelque véhémence ses argumens contre les corn-laws et conquérir une influence sérieuse sur les décisions de la chambre. Dès 1845, lord John Russell, chargé de former un cabinet à la suite de la démission de Robert Peel, offrit à Cobden la vice-présidence du Bureau de commerce, offre que celui-ci crut de voir décliner et qui d’ailleurs fût demeurée sans effet, le nouveau ministère n’ayant pu se constituer et Robert Peel étant immédiatement revenu aux affaires. Cet incident prouve néanmoins le progrès qu’avaient fait les idées de Cobden et l’estime qui s’attachait à sa personne. Enfin, lorsque Robert Peel se résolut, en 1846, à proposer la réduction des droits sur le blé et l’abolition complète dans un délai de trois ans, Cobden eut la sagesse de contenir les impatiences de la ligue, qui voulait l’abolition immédiate, et il assura dans le parlement le vote de la réforme. Ses adversaires comme ses alliés lui rendirent unanimement ce témoignage, gravé en quelque sorte dans un discours mémorable que Peel prononça le 29 juin 1846 au moment où, épuisé par l’effort et usé par le triomphe, le grand ministre abandonna de nouveau le pouvoir : « Le nom, dit-il, qui mérite d’être associé au succès de la réforme, ce n’est point celui du noble lord, député de Londres (lord John Russell), ni le mien. Ce nom, c’est celui d’un homme qui, sous l’inspiration de sentimens aussi honnêtes que désintéressés, s’est fait l’avocat de cette grande cause et l’a plaidée avec une énergie infatigable, par la puissance de la raison et dans un langage dont la simplicité atteignait à l’éloquence. Ce nom, c’est le nom de Richard Cobden. C’est à lui, je le déclare sans hésitation, qu’appartient l’honneur du succès. »

Peel n’avait que trop raison de rendre hommage au désintéressement de Cobden. Absorbé par les discussions du parlement et par les combats de la ligue, le député de Stockport avait dû négliger la direction de sa fabrique et le soin de ses affaires privées. Pendant que les orateurs du parti tory lui reprochaient les prétendus millions qu’il gagnait avec la sueur de ses ouvriers, il était endetté, ruiné, réduit aux expédiens, sous la menace incessante de la faillite. Nous voyons, par sa correspondance, qu’en 1845 il fut à la veille de lâcher tout, et le parlement et la ligue. Les instances de M. Bright l’arrêtèrent dans cette résolution désespérée, et le crédit de ses amis vint à diverses reprises le tirer d’embarras. Ce fut avec beaucoup de peine et au milieu de continuelles angoisses qu’il tint bon jusqu’à l’achèvement de sa tâche. Mais, lorsque cette situation, dont le secret avait été soigneusement gardé, put être sans inconvénient révélée au public, il se produisit dans toute l’Angleterre une explosion de gratitude, une sorte d’agitation en faveur