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de l’effroi causé par la menace d’une famine en Irlande pour faire voter, en juin 1846, à la chambre des communes et à la chambre des lords, cette réforme qu’il considérait comme un acte d’humanité et de justice et qu’il imposait comme un acte de salut.

L’agitation parlementaire, parallèle à l’agitation populaire entretenue par la ligue, avait duré près de six années. L’histoire de cette période mouvementée, qui eut une si grande influence sur les destinées de l’Angleterre, est trop connue pour qu’il convienne d’en retracer ici les nombreux incidens. Les discussions qui occupèrent alors les deux chambres du parlement retentissent encore dans le souvenir de notre génération, et l’histoire de la fameuse ligue est devenue presque classique. En France particulièrement, d’éminens publicistes ont décrit les combats et la victoire de ces ligueurs, qui, au jugement de Bastiat, « avaient résolu de renverser tous les monopoles par les voies légales et d’accomplir sans trouble, sans effusion de sang, par la seule puissance de l’opinion, une révolution aussi profonde peut-être que celle qu’ont opérée nos pères en 1789. »

La biographie de Cobden contient le récit de tous les incidens qui ont marqué les différentes phases de cette révolution. M. John Morley nous montre Cobden à l’œuvre depuis le jour où il a fondé la ligue, provoquant les souscriptions et les manifestations, pérorant dans les meetings, correspondant avec les journaux, intervenant dans les élections et créant même des électeurs par la grâce de la vieille loi Chandos qui dormait dans la poussière des siècles, se dépensant tout entier au service de la cause qui pour lui est la cause sainte. C’est une activité, une fièvre de toutes les heures. A côté de lui, d’autres ligueurs, également convaincus et dévoués, George Wilson, président de la ligue, M. John Bright, le colonel Thompson, William Fox, etc., tiennent la campagne et prêchent la mission ; mais aucun d’eux ne le devance ni ne l’efface. Cobden est l’âme du mouvement, le chef incontesté du parti. Quelle activité incessante, mais en même temps quel sens pratique dans l’organisation des moyens et dans l’emploi des ressources ! Cobden sait quelle est en Angleterre, la force des influences religieuses : il imagine de réunir un meeting de pasteurs anglicans, méthodistes, presbytériens, etc., et de prêtres catholiques et de faire voter par ce singulier concile une motion contre les corn-laws. Il a besoin d’obtenir l’appui bruyant des masses ouvrières, sans cependant se compromettre avec les chartistes, dont le contact gâterait tout et perdrait la cause aux yeux des classes moyennes ; il a le talent de convertir une partie des chartistes et de faire la paix dans les ateliers. Il fonde des journaux populaires qu’il répand à profusion, il lance un journal illustré, sorte de Punch de la ligue, et il découvre