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comme pour les Français. Cobden, en protestant contre l’engouement de ses contemporains, était dans le vrai. L’Egypte a été épuisée par le système de gouvernement et d’administration que Mehemet et ses successeurs ont pratiqué pour leur profit personnel ; elle est écrasée sous le poids des dettes contractées, par les pachas, et la voici désormais en tutelle.

C’était surtout à titre d’économiste que Cobden se permettait de ne point s’incliner devant le génie de Mehemet. Son esprit positif aimait à rabaisser les sommets, témoin cette boutade que lui inspirèrent les Pyramides : « Ma première impression, écrit-il, jointe à l’étonnement que devait me causer un tel spectacle, fut vraiment pénible. J’étais irrité en voyant ce gaspillage d’une somme énorme de travail et d’habileté. Il y a là six millions de tonnes de pierres taillées et disposées avec art pour une construction tout à fait inutile. Avec le tiers de ce poids et le dixième de la main-d’œuvre employée, nous avons fait, la digue de Plymouth, l’ouvrage le plus utile qui soit en Angleterre ! » Cette réflexion lui gâtait les Pharaons et les quarante siècles.

Passer d’Egypte en Turquie, c’est, pour Cobden, tomber de Charybde en Scylla. L’économiste ne se montre pas plus indulgent pour le désordre gouvernemental et pour la dilapidation administrative qu’il ne l’a été pour l’oppression méthodique du monopole. S’il admire les splendeurs du Bosphore, s’il vante les beautés du paysage, la fécondité naturelle du sol, le caractère doux et facile des habitans, il désespère de l’avenir d’une nation livrée, à un gouvernement ignorant et corrompu. Il n’attribue aucune efficacité aux essais de réforme tentés depuis quelques années sous l’influence des cabinets européens, et, contrairement à l’opinion et aux espérances qui avaient cours alors, il considère que la Turquie est entrée dans une voie de décadence où rien ne pourra l’arrêter. Dans sa pensée, l’héritage de la Turquie est réservé à la race grecque, race supérieure, pleine d’activité et de finesse, ayant gardé la tradition, latente peut-être, mais indélébile de l’antique génie et destinée à régénérer l’Orient en donnant au magnifique port de Constantinople toute sa valeur d’exploitation. Ici encore nous voyons les opinions politiques de Cobden dominées, comme elles le furent toujours, par l’idée économique. Pour lui, l’avenir appartient à la nation qui travaille et qui produit : la Grèce intelligente, laborieuse doit prendre la place de la Turquie fainéante et décrépite. Et que l’on ne suppose pas que la magie des souvenirs classiques ait la moindre part dans le sentiment de préférence qu’il accorde à la Grèce moderne. Cobden a parcouru les territoires d’Athènes et de Sparte, et au retour de cette course, qui n’était point faite pour l’essouffler, voici