Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donné à la reine un passeport sous le nom de la baronne de Korf, et le roi était désigné comme domestique. Montmorin s’est très mal défendu, et l’assemblée a eu l’indignité de le laver de toute accusation. »

L’Orateur du peuple a été cru ; on oublie même que la reine avait poussé si loin la dissimulation qu’ayant rencontré la veille du départ Montmorin, elle lui avait demandé s’il avait vu Madame Elisabeth. « Je sors de chez elle, avait répondu Montmorin. — Elle m’afflige, répliqua la reine, j’ai fait tout au monde pour la décider à assister demain à la procession de la Fête-Dieu ; elle paraît s’y refuser : il me semble pourtant qu’elle pourrait bien faire à son frère le sacrifice de son opinion. »

Les passions et les préventions aveugles ne se modifient pas, et nous retrouverons les mêmes calomnies avec toutes leurs iniquités le jour où Montmorin comparut devant ses accusateurs.

Qu’avons-nous à raconter avant ce jour-là ? Le roi, suspendu de ses fonctions, n’était plus qu’un gage entre des mains ennemies ; il avait excité l’inquiétude, comme s’il eût été fort, et tous les moyens de se défendre lui manquaient. Depuis son retour de Varennes jusqu’à son acceptation de la constitution, les ambassadeurs de France n’avaient aucune correspondance officielle avec la cour où ils résidaient.

Presque en même temps que se signait la convention de Pilnitz, le 13 septembre Louis XVI donnait son adhésion solennelle à l’acte constitutionnel. Ses frères avaient pris le parti de lui adresser ouvertement, sous la date du 11, une lettre à laquelle ils avaient donné la plus entière publicité par les gazettes étrangères. Dans ce manifeste, les princes l’engageaient à refuser sa sanction, ne voyant dans les principes de la révolution que la violation du droit. Tout préparait donc la guerre ; les provocations venaient du dehors. Dans la circulaire adressée par lui à M. de Noailles, le 19 septembre, Montmorin jugeait très bien que l’Europe, en menaçant la France d’intervenir à main armée dans ses débats intérieurs, révoltait la fierté d’une nation indépendante et que les puissances, en se laissant entraîner par les émigrés, hâtaient le renversement du trône. Cette dépêche devait être l’avant-dernier acte diplomatique de Montmorin.

Le 30 septembre 1791, la constituante terminait ses séances, et cette assemblée à qui la race humaine doit tant de reconnaissance s’en allait, de l’aveu des contemporains, plus vieillie après deux années que le plus long règne de l’ancienne monarchie.


A. BARDOUX.