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en assemblée nationale, Montmorin reçut des mémoires proposant la dissolution. Il résista à ses amis eux-mêmes et dans toutes ces questions de principes débattues entre la noblesse et le tiers, il soutint les projets libéraux, contre M. de Barentin, garde des sceaux, contre M. de Puységur, ministre de la guerre, et M. Villedeuil, ministre de l’intérieur. Dans une des séances du cabinet où les princes assistaient, le comte d’Artois ayant émis l’avis qu’aux nobles seuls appartenaient les grades militaires : « Les emplois ne sont pas des charges, répondit Montmorin, on les mérite en s’acquittant bien de ses devoirs, et ils doivent être confiés aux plus capables, sans distinction de naissance. » L’avis, combattu non moins vivement par le comte de Saint-Priest, fut écarté. La démocratie, à partir de ce jour, entra dans l’armée française. Le père de Mme de Beaumont, malgré l’ancienneté de son nom, n’était donc d’aucune façon un homme d’ancien régime.

Lorsque arrivèrent la célèbre séance royale du 23 juin et l’avortement complet et irrémédiable des projets de Necker, le comte de Montmorin avait risqué sa position à la cour. Le mémoire de M. de Barentin, dans ses attaques presque injurieuses contre son collègue, ne laisse pas de doute. Necker avait préparé, depuis un mois, une déclaration presque mot pour mot semblable à celle qui fut donnée par Louis XVIII, à Saint-Ouen, vingt-cinq années plus tard. Mais la délibération du 17 juin par laquelle le tiers-état s’appelait désormais l’assemblée nationale et l’immortelle séance du Jeu-de-Paume avaient paru au comte d’Artois des actes essentiels à réprimer. Le soir du conseil dans lequel la séance royale devait être fixée et les concessions libérales arrêtées, un billet de la reine engagea le roi à sortir ; la délibération fut renvoyée au jour suivant. Deux magistrats furent admis exceptionnellement à la discussion, ainsi que les deux princes frères de Louis XVI. Montmorin vint avec ardeur au secours de Necker, dont les projets étaient ainsi modifiés ; il insista sur la droiture de ses vues, il invoqua l’ancienneté de son attachement pour le roi, le suppliant de se résigner à la constitution anglaise. La majorité refusa de condescendre à ses conseils. Necker alors ne voulut pas se rendre à l’assemblée et offrit sa démission. La séance royale, loin d’atteindre le but qu’on se proposait, ne fut que l’occasion d’un nouveau triomphe pour le tiers-état. Montmorin s’entremit au nom du salut de la monarchie et, au grand mécontentement des courtisans, persuada au roi que la sûreté de sa personne était attachée à ce que Necker restât encore ministre[1].

Dans les premiers jours de juillet, la cour se crut en mesure de contenir le mouvement populaire et d’intimider l’assemblée. Le roi

  1. Lettres et instructions de Louis XVIII au comte de Saint-Priest.