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I

Le comte de Montmorin avait enchanté, dès le début, tout le corps diplomatique. Il avait rétabli l’ancien usage, lorsque le roi ne recevait pas à Versailles, de venir à Paris donner ses audiences[1]. Comme il joignait à la plus sincère modestie une extrême honnêteté ; comme il ne se flattait pas de bien faire, mais de faire le moins mal possible ; comme il avait de l’activité dans l’expédition des affaires, une décision prompte et consciencieuse, il ne recueillait alors autour de lui que de la bienveillance. Ses réceptions étaient fort brillantes. Généreux jusqu’à la prodigalité, ses revenus ne suffisaient pas au luxe de sa maison ; il avait été obligé de vendre ses propriétés d’Auvergne.

Un document conservé aux Archives nationales permet de se renseigner complètement sur sa fortune[2]. La table du ministre coûtait, avec le vin, 202,800 livres par an ; les gages et habillemens des domestiques attachés à l’hôtel de la rue Plumet s’élevaient à 52,835 livres. L’écurie, qui était de onze palefreniers et de vingt-quatre chevaux, dépensait 24,000 livres ; les mémoires particuliers des gens, c’est-à-dire les dépenses de poche, montaient à 8,000 livres ; le blanchissage à 6,000 ; enfin, l’entretien personnel des maîtres de la maison et le jeu de la reine coûtaient 80,000 livres au minimum. On lit, dans l’inventaire, que Mme de Beaumont avait en outre une voiture et une livrée, que son trousseau avait coûté 25,000 livres, qu’elle dépensait 7,000 écus par an pour sa bibliothèque et ses reliures. Sa sœur, Mme de La Luzerne, et. elle, recevaient chacune, pour leur entretien personnel, une rente annuelle de 18,000 livres.

En dépouillant ces précieux papiers, un petit fait paraît touchant à signaler. Dans une lettre à Joubert, de mai 1797, Mme de Beaumont lui demande l’adresse d’un libraire. Elle voulait absolument se débarrasser d’une édition de Voltaire trop volumineuse ; sa seule prétention était d’emporter un moindre poids en voyage. « Vous l’offrir après cet aveu, disait-elle à son ami, c’est s’y prendre aussi spirituellement que cet homme qui apportait un panier de prunes à son curé, l’assurant que ses cochons n’en voulaient plus. N’importe, si ce n’est de bonne grâce, c’est de bon cœur que je vous l’offre. » Ce n’est pas sans émotion que nous avons lu la quittance de 850 livres pour deux exemplaires de Voltaire

  1. Journal de Bachaumont (année 1787).
  2. Archives nationales, inventaire Montmorin ; papiers séquestrés.